Situé en plein cœur de Trois-Rivières, le Réseau d’habitation communautaire de la Mauricie (RHCM) est un organisme dont la mission est de favoriser la stabilité résidentielle et le rétablissement des personnes ayant une problématique en santé mentale ou en rupture sociale. Au moyen de 63 logements transitoires et permanents répartis dans 9 immeubles, le RHCM offre un endroit sûr et abordable à des hommes et des femmes – dont l’âge moyen est de 47 ans – qui souffrent de troubles mentaux ou qui sont en situation d’itinérance pour qu’elles puissent améliorer leurs conditions de vie.
Rencontrés à Trois-Rivières début avril, le directeur général Michaël Tilman et l’intervenante Jennifer Tessier nous ont fait le tour du propriétaire et ont accepté de répondre à nos questions. Accueil rue Saint-Antoine : « Le bâtiment ici, qui date de 1920, a eu plusieurs vocations au fil des ans, un hôtel, des bars. Nous l’avons transformé en logement en l’an 2000. Quatorze logements et nos bureaux administratifs », explique Michaël.
Maintien en logement
Les portes, au RHCM, ouvrent sur de petits logements. Le directeur général explique : « Compte tenu de notre clientèle en santé mentale – et dans les dernières années on s’est beaucoup plus investi au niveau de l’itinérance –, les petits appartements sont favorisés. Ce sont des appartements “complets” avec salle de bain et cuisine, mais petits : 1½ et 3½. On parle d’une clientèle qui est seule, qui n’a pas beaucoup de compétences au niveau de l’entretien ménager. Et, évidemment, qui dit petit appartement dit petit prix… »
« Je suis directeur du RHCM depuis huit ans. Le logement fait partie de ma vie depuis près de 20 ans. J’étais directeur d’une résidence privée pour aînés. Les enjeux étaient similaires. » — Michaël Tilman
Dans l’éventail ou le continuum qui va du refuge où une personne en difficulté passe quelques nuits pour en ressortir aussitôt et le logement permanent où elle peut passer quinze ou vingt ans de sa vie, on pourrait situer les activités du RHCM à peu près au milieu, un hybride. « On s’identifie comme du logement temporaire, donc sur un horizon de cinq ans, explique son directeur général. Les gens qui vivent dans la rue, qui se retrouvent en hébergement d’urgence une vingtaine de jours pour se reposer, placer les choses, s’ils le désirent, s’ils veulent plus que la rue et les portes tournantes de l’hébergement, vont éventuellement se voir pointer dans notre direction. »
C’est ici qu’entrent en jeu Jennifer Tessier – qui possède une formation de technicienne en éducation spécialisée – et ses autres collègues intervenant·es. « J’accompagne des gens en soutien en logement, dit-elle. Le but c’est de maintenir la personne en logement, dans le respect de son autonomie, et que ça reste stable dans le temps. » Les activités d’accompagnement se concrétisent, selon les choix ou les besoins exprimés par la personne, par de l’aide à faire l’épicerie, à faire les repas, à gérer le budget, à meubler son logement, à harmoniser les relations avec le voisinage, à s’orienter auprès des différents organismes. Le RHCM prône aussi la réduction des méfaits en lien avec la consommation de drogues et d’alcool.
« Les journées ne sont jamais pareilles, raconte Jennifer. Avec mes collègues, on a des discussions cliniques, on fait des visites à domicile, et selon les besoins du jour on va accompagner les personnes à leur rythme. Parfois auprès de services de soins psychologiques, avec l’équipe de soins de proximité qui travaille à Trois-Rivières, parfois ça peut être des démarches au niveau de l’aide sociale, des services de distribution alimentaire, du soutien dans leur recherche d’emploi… On va essayer de mettre en place des choses dans sa vie pour qu’elle réalise tout son potentiel. » Développer la stabilité en logement, les compétences en logement, c’est se faire de la bouffe, se faire un budget, faire du ménage, faire une épicerie, planifier l’épicerie en fonction de son budget.
Jennifer poursuit : « Les gens qui font une demande au RHCM pour avoir un logement avec l’accompagnement, ce sont souvent des gens qui ont un gros bagage dans la vie, à qui il est arrivé toutes sortes de situations qui font en sorte qu’ils ont besoin de ce soutien-là, et c’est tout à leur avantage de demander de l’aide. Souvent ces personnes vivent de la solitude et elles ont besoin qu’on les considère comme des personnes à part entière, avec la même dignité, et même un amour inconditionnel, parce que ce sont des êtres humains qui ont droit de s’épanouir. Pour moi, c’est naturel d’être à leurs côtés. Ce sont des gens avec qui j’arrive à développer une belle complicité. »
Les défis de la pandémie
Évoquant la vague de sympathie pour le travail de première ligne, celui qui implique une relation d’aide et qui était auparavant davantage dans l’ombre, Jennifer explique : « Les personnes qui travaillent dans le soin, les travailleuses qui ont été “au front”, qui ont continué à travailler quand tout était arrêté autour… je pense que les gens ont pris conscience de l’importance des métiers qui répondent aux besoins des gens et à la santé de la société. Nous, les intervenant·es de milieux de vie, c’est plus subtil, et je ne sais pas à quel point c’est bien compris dans la société, mais on a pu voir le bien que notre travail faisait dans la vie des gens par rapport à la pandémie. Je me serais attendue à plus de reconnaissance de la part du gouvernement vis-à-vis des travailleurs et travailleuses du communautaire, qui font partie de ceux et celles qui s’occupent de nous tous. Je ne veux pas prêcher pour ma paroisse, mais je pense qu’au niveau des conditions de travail, il y aurait pu avoir un effort. »
L’interruption de certains services a-t-elle mis des bâtons dans les roues de personnes qui s’étaient engagées dans des démarches spontanées ? « Oh oui, et on a vu des situations où tout le travail que la personne a accompli a été mis en péril, répond Jennifer. Par exemple, un groupe communautaire du centre-ville de Trois-Rivières administrait un programme de fiducie volontaire. Il s’agit d’offrir à la personne un soutien dans la gestion de son argent. Le but est d’aider la personne à mettre de l’argent de côté pour payer son loyer et avoir assez d’argent jusqu’à la fin du mois, s’assurer qu’on puisse faire l’épicerie, etc. Hé bien ce service est interrompu depuis un an et cela a désorganisé des gens autour de nous ici, et le paiement du loyer est au centre de la démarche de stabilisation résidentielle. »
« Souvent les personnes vivent de la solitude et elles ont besoin qu’on les considère comme des personnes à part entière, avec la même dignité, et même un amour inconditionnel, parce que ce sont des êtres humains qui y ont droit de s’épanouir. Pour moi, c’est naturel d’être à leurs côtés. »– Jennifer Tessier
Jennifer mentionne un autre problème, largement passé sous le radar : « Certaines personnes qui étaient sur l’aide sociale, et qui ont demandé la PCU – au début il n’y avait pas de vérification –, ont augmenté leur consommation de drogue, ce qui est déjà un problème en soi. Mais en plus il y a la question des dettes… Je ne sais pas s’il y aura des réclamations que le gouvernement fédéral pourrait faire, mais c’est un drôle d’engrenage ! À long terme, si des retenues sont imposées sur leurs “revenus” déjà bien maigres, il pourrait y avoir des impacts à long terme qui sont difficiles à évaluer actuellement. »
La difficulté de se trouver un logis
En général, le parcours d’une personne logée au RHCM se fait sur une période maximum de cinq ans. Lors d’un déménagement vers un logement autonome, l’accompagnement est maintenu dans le but de s’assurer que les compétences acquises ne sont pas perdues par le changement de milieu. « Ici, on se donne cinq ans pour développer les compétences et amener la personne vers le logement permanent, dit Michaël en expliquant le parcours. Ensuite nous essayons de placer les gens à l’Office municipal d’habitation, pour qu’ils puissent avoir accès à un loyer subventionné. »
La question de l’accès à un logement que la personne peut se permettre financièrement est bien complexe. Michaël Tilman : « Historiquement, 50% des gens qui quittent nos logements vont quitter de façon autonome, ils vont quitter pour un autre logement et vont réussir à y rester. Il y a de la réussite. Maintenant, ce qui est difficile, c’est de trouver un logement à Trois-Rivières. Avec un taux d’inoccupation de 1 %, on parle de statistiques de crise du logement. »
« Oui, à la fin de notre parcours, poursuit-il, les gens vont être stabilisés au niveau de leur consommation, au niveau de leur santé mentale, mais leur capacité à gagner assez d’argent pour se payer un loyer de 700 ou 800 dollars par mois n’est pas là. La capacité de trouver les logements abordables et salubres, avec un propriétaire qui va accepter, est de plus en plus difficile. » Il existe bien une subvention, le Programme de supplément au loyer (PSL), qui peut aider le locataire à se trouver un logement sur le marché locatif privé conventionnel. Son bénéficiaire paie alors 25 % de son revenu, quel qu’il soit, au propriétaire, et le programme paie la différence. « Mais il y a de la résistance chez les propriétaires… Présentement, les propriétaires privés à qui on demande “Est-ce que tu veux ce locataire-là et je pourrais avoir un PSL, t’accompagner dans les démarches qui vont soutenir le prix ?” Souvent c’est non, parce dans la période actuelle, les proprios n’ont pas de problème à louer leurs logements au plein prix à une clientèle très stabilisée. Quand on parle d’une clientèle identifiée “à risque de problèmes”, le PSL ne facilite plus l’accès au logement privé. »
Un organisme solide
Il y a huit employé·es au RHCM, entre l’administration et les intervenant·es. « Nos gens ont des études en travail social, en éducation spécialisée, et ont une expérience très pertinente auprès de la clientèle en itinérance ou en santé mentale. La facilité de contact auprès d’une clientèle souvent réfractaire à l’aide, avec qui c’est difficile de créer une relation de confiance, est souvent plus importante que la formation théorique ».
Tout un réseau de soutien s’est créé avec l’environnement communautaire et institutionnel : la Ville de Trois-Rivières, le CIUSS de la Mauricie, Emploi-Québec, etc. « Des chèques d’urgence peuvent être émis le vendredi ou à la sortie de prison, il y a de l’entraide de tous les organismes du milieu, aide alimentaire, aide à l’emploi, retour à l’école, il y a de très belles collaborations et on arrive à faire de belles choses pour les locataires. »
« On assure la transition, de conclure Jennifer, on reste dans la vie de la personne autant que nécessaire, on s’assoit ensemble et on se fait un petit plan de match pour finalement se désengager de la personne. »
Claude Rioux
Responsable des communications – RQOH