Depuis 2015, le RQOH, les fédérations et les OSBL d’habitation pour personnes âgées n’ont cessé de plaider en faveur d’une bonification du crédit d’impôt pour maintien à domicile des aînés (CMD). Dans son budget présenté le 25 mars, le gouvernement Legault a finalement annoncé des modifications à ce programme, dont la dernière mise à jour remontait à neuf ans. Qu’en est-il maintenant ?
Le CMD a pour but d’« aider les personnes âgées de 70 ans ou plus à demeurer dans leur domicile en leur rendant financièrement plus accessibles certains services qu’ils doivent se procurer ». Il représente une dépense fiscale importante pour l’État québécois : en 2017, le montant global alloué au CMD a en effet dépassé les 500 millions de dollars. D’où l’intérêt de s’assurer de son efficacité.
Un programme complexe et inéquitable
Le CMD est un programme complexe. Le montant alloué repose sur deux variables :
1) la quantité et le type de services dont le contribuable se prévaut;
2) les frais payés pour les obtenir. Aussi, la façon de calculer les dépenses admissibles varie selon que la personne habite dans une résidence privée pour aînés (RPA), un immeuble en copropriété ou un ensemble de logements locatifs ; le CMD s’avère plus avantageux dans le premier cas.
Le taux de remboursement applicable est de 35 % des dépenses admissibles, pour tout le monde. C’est dire que pour un même service, la personne qui a les moyens de vivre dans une résidence privée de luxe obtient un montant beaucoup plus élevé que celle qui habite dans une RPA communautaire. D’où la demande formulée par le RQOH, qui fut entre autres reprise par l’opposition officielle à l’Assemblée nationale, de remplacer le taux de remboursement unique par un taux variable décroissant en fonction du revenu du bénéficiaire.
Le RQOH a ainsi présenté une hypothèse en vertu de laquelle le taux de remboursement serait passé de 35 % à 45 % pour les aînés dont le revenu annuel est inférieur à 20 000 $, pour ensuite décroître jusqu’à 35 %. Cette hypothèse, dont nous avions évalué le coût à une centaine de millions de dollars annuellement, aurait eu un impact direct sur les conditions de vie des aînés à faible revenu et leur capacité de se procurer les services dont ils ont besoin.
Dans la foulée, le RQOH a proposé d’autres ajustements pour corriger certaines iniquités du programme. Comme par exemple, que le coût des services inclus dans le loyer dans les OSBL d’habitation non visés par la certification soit reconnu comme une dépense admissible, au même titre que les RPA. Depuis 2017, le montant de crédit d’impôt que les locataires de ces organismes peuvent recevoir est plafonné à un maigre 10,50 $ par mois…
Or, les changements annoncés dans le budget du gouvernement Legault n’auront qu’un impact mineur pour les aînés à faible revenu, même s’ils vont dans la bonne direction.
Des améliorations somme toute mineures
Bien que le gouvernement reconnaisse que « l’aide offerte devrait être recentrée vers ceux qui en ont le plus besoin », il a choisi de maintenir un taux de remboursement unique. Ce taux augmentera graduellement d’un point de pourcentage par année à compter de l’an prochain, pour atteindre 40 % en 2026. Pour un même niveau de dépenses admissibles, cela représentera une augmentation de seulement 2,86 % du montant alloué en 2022 – rien pour changer la vie des personnes âgées les plus pauvres, dont le crédit d’impôt est déjà réduit du fait que leurs dépenses sont nécessairement plus limitées.
Pour contrebalancer l’écart créé par le taux de remboursement unique, les normes du CMD prévoient actuellement une réduction marginale du montant alloué aux contribuables dont le revenu familial dépasse 60 135 $. À partir de l’an prochain, la réduction applicable sera désormais accentuée pour ceux dont le revenu familial est supérieur à 100 000 $.
L’élément le plus intéressant des changements annoncés dans le budget, c’est l’augmentation de 600 $ à 1 200 $ du loyer mensuel admissible au CMD, pour les bénéficiaires qui habitent dans un immeuble de logements autre qu’une RPA. L’aide fiscale annuelle maximale, qui est actuellement de 126 $ pour ces locataires, pourrait donc atteindre 259 $ dès l’an prochain, et 288 $ en 2026. Reste encore à convaincre le gouvernement de faire un pas de plus et de reconnaître comme dépense admissible le coût de préparation des repas dans les OSBL d’habitation pour aînés qui offrent ce service. Les 5 000 ménages qui habitent dans la centaine d’OSBL d’habitation concernés le méritent autant que les résidents des RPA.
Le CMD, pour qui, pour quoi ?
Les discussions sur les changements à apporter au CMD, aussi nécessaires furent-elles compte tenu de l’ampleur de ce programme, ne devraient pas nous empêcher de questionner le rôle qu’il joue, plus généralement, dans l’organisation et la livraison des services de soutien à domicile.
Conçu sur mesure pour les services offerts en RPA, le crédit d’impôt pour maintien à domicile est devenu pour plusieurs l’unique moyen de payer les loyers élevés réclamés par les grandes résidences à but lucratif. Celles-ci n’hésitent d’ailleurs pas à l’utiliser dans leurs publicités : lorsqu’elles annoncent des loyers « à partir de… », il s’y trouve souvent une mention en petits caractères où l’on précise qu’il s’agit en fait non pas du loyer réel, mais du montant « après le calcul du crédit d’impôt pour maintien à domicile ».
Or, dans le contexte où l’on a vu récemment certaines RPA imposer des augmentations de loyer pouvant aller jusqu’à 400 $ par mois, on peut légitimement se demander si le CMD n’est là que pour assurer un rendement qui satisfera les investisseurs de ces grands groupes. Malheureusement, il semble que le gouvernement y voit là un phénomène à encourager, lui qui va, dans son budget, jusqu’à donner l’exemple suivant :
« Une augmentation de loyer en RPA de 100 $ par mois pourrait se traduire par une augmentation de 65 $ des dépenses admissibles au CMD. Cette hausse des dépenses admissibles représente un versement additionnel de 22,75 $ par mois au titre de l’aide fiscale. » Bref, une augmentation de loyer de 100 $ ne coûtera « que » 77,25 $ à certains résidents, grâce au CMD… N’est-il pas temps de remettre ce modèle en question ?
Dans une étude publiée en 2014 par l’Institut de recherche en politiques publiques, le professeur Jean-Pierre Lavoie de l’École de travail social de l’UQAM écrivait : « En fait, les deux mesures fiscales les plus généreuses – le crédit d’impôt pour les frais médicaux et celui pour le maintien à domicile d’une personne âgée – sont liées à l’achat de services et ne semblent constituer qu’une stratégie d’incitation à recourir au secteur privé pour obtenir des services à domicile […]. En plus, elles ne bénéficient qu’aux personnes ayant la capacité de payer ces services. »
Il y a là, à notre avis, matière à réflexion !
Jacques Beaudoin
Directeur des affaires publiques et juridiques – RQOH