Selon Messieurs Couillard, Harper, Coiteux, Oliver et autres politiciens québécois et canadiens au pouvoir, déficits et dettes gouvernementales sont parmi les principaux dangers qui nous guettent. C’est pour nous protéger de ces « dangers » qu’il faut couper les dépenses de l’État, diminuer les allocations versées aux citoyens moins bien nantis, affaiblir les programmes sociaux, repousser l’âge de la retraite, augmenter les frais de scolarité et les frais de garde, etc.

Face à cette situation, les groupes sociaux qui dénoncent « l’austérité » imposée par les gouvernements se font répondre que « c’est une vue de l’esprit », qu’il est ici question de rigueur budgétaire (sous-entendu : de saine gestion), mais pas d’austérité.

On peut sincèrement se demander qui a des « vues de l’esprit » et qui voit clair dans ce débat.

À Ottawa, en dépit de réductions de taxes populistes, de dépenses militaires décuplées et de cadeaux fiscaux aux entreprises (surtout pétrolières et financières) qui se comptent par milliards, le gouvernement ne parvient plus à cacher ses surplus. Ce qui ne l’empêche pas de refuser de réinvestir en logement social et de limiter ses transferts en santé et en éducation.

À Québec, le gouvernement Couillard essaie sérieusement de nous faire croire que le Parti libéral, qui a passé 10 des 11 dernières années au pouvoir, n’était pas au courant de l’état des finances publiques quand il a pris le pouvoir en avril dernier. C’est un peu gros et, si c’était vrai, cela en dirait beaucoup sur l’équipe en charge des finances publiques.

Ce que tout ce beau monde oublie, c’est que les finances du Québec ne peuvent et ne doivent pas être considérées hors de leur contexte social, politique, économique et environnemental.

M. Couillard, qui affirme haut et fort l’appartenance du Québec au Canada, ne devrait pas hésiter à réclamer d’Ottawa un transfert de ressources supplémentaires afin de répondre aux besoins des citoyens, par le biais des programmes sociaux, dont le logement social. Les impôts payés à Ottawa et à Québec viennent des poches des mêmes contribuables et doivent leur servir, sans égard aux arguties constitutionnelles et juridiques. Il n’y a aucune raison pour que l’argent s’accumule d’un côté et manque de l’autre.

La dette québécoise est plus modeste que nos actifs ! La collectivité québécoise devrait être considérée comme riche de son patrimoine en ressources naturelles. Pourtant, les règles comptables mises en place par le gouvernement ignorent ces actifs. N’est-il pas paradoxal que le gouvernement ne leur accorde aucune valeur, mais qu’une corporation privée qui s’en empare, elle, (généralement à vil prix), inscrive la valeur de ces actifs à ses livres? Concrètement, combien valent l’or, l’argent, le cuivre, le fer et les autres métaux enfouis dans notre sous-sol? Combien valent les forêts publiques? Pourquoi les arbres qu’elle abrite n’ont de valeur qu’au moment où ils deviennent propriété de Cascades, de Kruger, de Louisiana Pacifique, de White Birch ou de Tembec ? Combien vaut le fleuve St-Laurent ? Pourquoi toutes ces ressources ne sont-elles pas inscrites dans les livres du gouvernement ? Quand une compagnie s’accapare ces ressources, ne les met-elle pas à son actif dans son bilan comptable ? Si on les y inscrivait, on constaterait que la dette ne représente qu’un infime pourcentage de notre richesse collective.

Finalement, quand apprendrons-nous à reconnaître la valeur des services publics et à considérer ceux-ci comme des investissements, y compris dans la comptabilité d’État? En pratique, chaque enfant qui complète sa formation scolaire représente un actif pour la société, y compris pour notre capacité collective à produire des biens et des services. En plus de prévenir une maladie, chaque vaccin donné permet à quelqu’un de se présenter au travail. Chaque itinérant qui trouve un toit grâce à l’action d’un OSBL diminue les dépenses de sécurité des commerçants, des municipalités et des gouvernements. La liste des exemples de ce type est très longue. Pourtant, les gouvernements continuent de parler de dépenses plutôt que d’investissements.

Tout cela pour dire que comme citoyen et comme mouvement social, il est de notre responsabilité d’exiger des gouvernants qu’ils gèrent les ressources collectives en faisant preuve d’esprit critique face aux puissants de ce monde et qu’ils aient le courage de prendre des engagements fermes en faveur des intérêts de l’ensemble de la collectivité. À moins que cela aussi, ce soit « une vue de l’esprit »?

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Article paru dans le bulletin Le Réseau no 46