8 janvier 2020

Vers un virage communautaire en santé mentale

 

Au moment même où se déroulait le Blitz de l’habitation communautaire les 28 et 29 octobre derniers, plus de 250 intervenants concernés par les services de santé mentale étaient réunis à Québec à l’occasion du Forum Adultes et santé mentale organisé par la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, et sa collègue responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais. Le logement étant à la fois un déterminant majeur de la santé mentale et un point d’ancrage pouvant favoriser l’autodétermination des personnes, le RQOH a participé au forum pour témoigner des impacts du logement communautaire dans la vie de celles qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. Globalement, les organismes du milieu ont plaidé pour que le mouvement communautaire en santé mentale soit considéré comme un acteur central des transformations à venir et que sa place et son influence soient pleinement reconnues.

Alors directrice générale du Centre l’Escale à Saguenay et membre du conseil d’administration du RQOH, Caroline Dubé juge prometteurs les échanges auxquels elle a participé et qui ont eu lieu durant ces deux journées. Le forum a été convoqué pour alimenter la réflexion en vue de l’élaboration du prochain Plan d’action en santé mentale du gouvernement québécois, censé couvrir la période 2021-2025. Sa tenue a fait suite à celle du Forum Jeunes et santé mentale au printemps 2019.

Le Réseau communautaire en santé mentale (COSME), qui rassemble les regroupements de 10 régions administratives représentant eux-mêmes près des deux tiers des organismes reconnus par le ministère de la Santé et des Services sociaux, a profité de l’événement pour dévoiler sa nouvelle plateforme. Intitulée L’avenir de la santé mentale, 25 propositions pour un virage communautaire au Québec, elle couvre une variété d’enjeux, dont celui du logement.

Le COSME revendique notamment que le prochain plan d’action prévoit « d’augmenter l’accès à des logements sociaux, puisqu’il est reconnu que résider chez soi est un besoin essentiel et un facteur déterminant dans le rétablissement de la personne et le développement de son pouvoir d’agir ». Globalement, le regroupement vise à ce que le mouvement communautaire en santé mentale soit considéré « comme un acteur central des transformations à venir » et que sa place et son influence soient reconnues par tout le milieu de la santé mentale.

Selon Caroline Dubé, cette reconnaissance du mouvement communautaire est d’ailleurs ressortie comme un enjeu majeur des discussions. Les utilisateurs de services, qui étaient présents en grand nombre au forum, y ont témoigné avec éloquence de l’impact positif que les organismes ont eu et continuent d’avoir dans leurs vies. « Le logement social a par ailleurs été nommé à plusieurs reprises comme un élément incontournable pour favoriser le rétablissement des personnes ayant des troubles de santé mentale », rapporte en outre celle qui représentait le RQOH.

Le logement communautaire s’avère déjà une option de choix à cet égard, qui a fait ses preuves. Selon les informations dont le RQOH dispose, il existe actuellement près d’une centaine d’ensembles d’habitation exploités par des organismes sans but lucratif qui offrent du logement permanent spécifiquement à des personnes éprouvant des problèmes de santé mentale, et environ 75 qui proposent du logement de transition. Ces projets ont adopté un mode de gestion qui favorise la prise en charge de leur milieu par les locataires. Cela exige évidemment la disponibilité de ressources d’aide suffisantes, comme la présence d’intervenantes et intervenants en soutien communautaire.

Situé dans l’arrondissement de Jonquière à Saguenay, le Centre l’Escale offre des services d’aide et de soutien aux personnes dans le besoin, à partir d’une approche qui vise à « favoriser la reprise de pouvoir personnel et développer l’autonomie de la personne ». Actuellement, l’organisme possède une douzaine d’appartements supervisés. Madame Dubé explique : « Il s’agit de logements disponibles pour une période pouvant aller jusqu’à cinq ans, avec une supervision minimale. Cela assure aux personnes qui en bénéficient de faire la transition en développant leur autonomie. Pour celles dont les troubles sont peut-être plus graves ou récurrents, l’accès à un logement communautaire permanent, dans un environnement similaire à celui proposé par le Centre l’Escale, serait certainement le bienvenu. Couplée au soutien offert par l’organisme, la stabilité résidentielle amène une réduction notable du recours aux services de santé. »

Actuellement, le Centre l’Escale n’offre pas de logement permanent. Caroline Dubé reste convaincue qu’un tel service viendrait répondre à des besoins réels et qu’il aurait un impact positif sur les personnes qui y auraient accès.

 

Un projet en développement

Porté depuis déjà plusieurs années par un organisme de défense des droits en santé mentale, le projet de 36 logements permanents de l’OSBL La Maison du peuple à Laval a enfin franchi en 2019 l’étape de l’engagement conditionnel auprès de la Société d’habitation du Québec. L’idée du projet a d’abord fait son chemin parmi les utilisateurs et utilisatrices et les membres de l’équipe travail de L’En-Droit de Laval. Le but était de répondre au besoin de logements abordables, adéquats et salubres pour les personnes qui fréquentent l’organisme, explique son coordonnateur Richard Miron : « La liste d’attente pour avoir un logement en HLM est tellement longue… il fallait faire quelque chose pour que les personnes que l’on défend puisse jouir du droit à un logement décent. »

Pour l’organisme, il s’agissait aussi de concevoir un milieu de vie où il sera possible, pour les locataires, de s’entraider, que ce soit par la mise en place d’une cuisine collective, d’un groupe d’achats collectifs, etc. « L’habitation communautaire favorise la mise en place d’un réseau d’entraide entre pairs, ce qu’on ne retrouve pas nécessairement aussi facilement avec des formules comme les suppléments au loyer dans le marché privé », ajoute le coordonnateur. Le projet prévoit par exemple la mise en place d’un comité sur la sécurité alimentaire et d’un autre axé sur la vie associative, qui s’intéressera entre autres aux relations de bon voisinage entre locataires.

Réaliser un projet comme celui-là demande certes du temps, des efforts soutenus et une bonne dose de détermination; l’OSBL La Maison du peuple fêtera d’ailleurs cette année son huitième anniversaire! Richard Miron explique : « Il a fallu trouver un terrain, ce qui était loin d’être évident sur un territoire comme le nôtre, et mobiliser les ressources nécessaires. Des “requins” nous ont fait certaines offres, qui se sont avérées désavantageuses… Finalement, le problème a été réglé grâce au soutien de la Ville de Laval, qui a réservé un terrain pour le mettre à notre disposition. »

Le projet est maintenant en voie de réalisation dans le cadre du volet 3 du programme AccèsLogis Québec; ne reste qu’à ficeler l’entente de collaboration que le programme requiert avec le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval. Si tout va bien, la construction pourrait débuter dès le mois de mai et les premiers locataires pourront prendre possession de leur logement en janvier 2021.

Les projets de logement communautaire s’avèrent un complément naturel au travail lui-même indispensable des ressources alternatives et des organismes de défense des droits en santé mentale. Au sortir du forum le 29 octobre, Caroline Dubé n’a pas hésité à afficher son optimisme : « On sent vraiment que l’année 2020 marquera un tournant pour la santé mentale au Québec. » Il est à souhaiter que cette bonne volonté affichée par les autorités se traduise aussi par de nouveaux investissements dans le programme AccèsLogis, qui permettront de développer d’autres projets comme celui de la Maison du peuple et de répondre ce faisant aux besoins des personnes qui ne trouvent pas leur place dans le marché privé.