31 décembre 2016
« Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », « Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu’à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté », peut-on lire dans les chartes canadienne et québécoise des droits. Mais peut-on dire que ces droits sont respectés quand, chaque nuit, 35 000 personnes sont sans-abri, même quand il fait -20˚ dehors ? Qu’en est-il du droit à la vie et à l’intégrité si, comme 773 725 ménages canadiens, vous devez consacrer plus de 50 % de votre revenu au loyer, ce qui vous empêche de vous nourrir, de vous soigner et de vous vêtir correctement ? Discussion à bâtons rompus avec la nouvelle sénatrice Renée Dupuis, jusqu’à récemment vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec.
« De par notre nature humaine, le logement est plus qu’un accessoire; il correspond à un besoin, et donc à un droit, fondamental. » Pour la juriste et sénatrice, « la question du logement est centrale, car selon les situations de vulnérabilité, le logement est au cœur du respect de la dignité, de la sécurité ».
En abordant le problème de l’accès à un logement convenable sous l’angle d’un droit de la personne, le gouvernement s’inscrirait dans une tradition désormais bien ancrée en matière de droits fondamentaux. En effet, les instruments internationaux de protection des droits de la personne [1] reconnaissent depuis longtemps que le logement est un droit universel. La mise en œuvre d’une nouvelle stratégie nationale d’habitation offre une occasion exceptionnelle au Canada d’affirmer son rôle de leadership en cette matière.
Avocate et auteure, Renée Dupuis s’y connaît, y compris parce qu’elle a travaillé comme conseillère juridique auprès du mouvement communautaire, notamment dans le domaine du logement avec des locataires de maisons de chambres, des clientèles très vulnérables, et également avec des coopératives d’habitation.
Si, actuellement, le droit au logement ne figure pas de manière explicite dans les droits économiques et sociaux de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, l’avocate est néanmoins convaincue qu’il est possible de s’appuyer sur cet instrument pour faire progresser l’accessibilité au logement pour tous et toutes : « C’est un droit qu’on a beaucoup associé à un droit économique et social, ce qui n’est pas une erreur en soi, mais ce faisant nous avons été beaucoup tributaires de la séparation entre, d’une part, les droits civils et politiques et, d’autre part, les droits économiques, sociaux et culturels ». Les premiers sont qualifiés de droits de « première catégorie » par rapport aux autres, de « deuxième catégorie » – les droits environnementaux étant les troisièmes.
« On peut donc situer le débat sur la question d’accorder au droit au logement le même niveau de reconnaissance et d’attention qu’un droit de première catégorie. Mais au-delà du souhait qu’ils soient inscrits au même titre, il faut voir comment le respect du droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne est tributaire de l’accès à un logement en toute égalité. A fortiori dans un climat comme celui qui est le nôtre. » Selon la juriste, il est donc d’ores et déjà possible, en se basant sur les droits de première catégorie, de défendre le droit au logement. « Pour moi, le droit au logement est intimement lié au droit à la vie, au droit à la sûreté. Il y au moins une partie du droit au logement qui doit être regardée dans le contexte de nos chartes actuelles, dans le cadre des protections qu’elles donnent par rapport aux droits à la vie, à la sûreté, à l’égalité. »
« Il faut lier le droit au logement au droit à la sûreté, continue-t-elle, car ne pas être exposé aux quatre vents est inhérent à la sûreté. Et c’est aussi le droit à l’intégrité, qui lui est intimement lié à la santé, autant à la santé physique (et ici on parle de droit à un logement décent, sans moisissures par exemple) qu’à la santé mentale, qui peut être compromise par la surpopulation et la promiscuité. »
Renée Dupuis cite un autre exemple pour appuyer ses dires : « Toute personne dans le besoin a droit à des mesures d’assistance financière et sociale susceptibles de lui assurer un niveau de vie décent. Or le projet de loi 70 [devenu la Loi 25 modifiant la loi sur l’aide sociale ; ndlr] est une atteinte à la dignité et à l’égalité, car si on coupe la prestation de telle sorte que l’on compromet l’accès au logement, on porte préjudice à la sûreté de la personne. »
En septembre 2016, maître Dupuis a participé à titre de vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec à une consultation organisée par la SCHL dans le cadre de l’élaboration de la future Stratégie nationale sur le logement. Nous l’avons questionnée sur les grandes orientations que devrait contenir cette stratégie d’après elle.
Son analyse est entre autres basée sur la notion de progressivité des droits inscrite dans les textes juridiques internationaux. En bref, il s’agit de l’idée que la réalisation des droits doit progresser avec le temps et les ressources d’une société. « Si on parle de nouvelle stratégie nationale du logement, qui porte sur la mise en œuvre progressive du droit au logement, on ne peut pas parler de la même progressivité que si on était en 1976 [année de la promulgation de la Charte québécoise]. Excusez-moi, mais les 40 années, elles ont été vécues ! [Si, de façon pratique, les conditions d’exercice du droit ne se sont pas amélioré] Ça veut dire qu’on a accumulé un déficit, un retard dans la mise en œuvre de ce droit-là. En tant que société, nous avons un retard à rattraper; en même temps et en parallèle nous avons à développer une stratégie pour l’avenir. J’insiste là-dessus, parce que sur le plan de la discrimination systémique, il y a vraiment ces deux volets-là. Si vous avez discriminé durant un certain nombre d’années, il faut rattraper le retard, et en même temps il faut travailler pour l’avenir. » Comment expliquer que pendant les années 1980, le gouvernement fédéral était capable de financer la construction de près de 30 000 nouveaux logements sociaux par année et qu’aujourd’hui, il n’en finance à peu près plus ? Pourtant, le PIB a triplé entre temps. Notre société n’est donc pas plus pauvre qu’il y a 30 ans.
La juriste insiste pour situer le débat sur la stratégie nationale dans le contexte de la période actuelle qui est caractérisée, selon elle, par « des inégalités extrêmement marquées ». Il faut ainsi lier droit au logement et droit à l’égalité. On le sait, la catégorie des locataires contient un nombre non négligeable de personnes pauvres. Comment s’assurer que l’accessibilité au logement existe pour tout le monde, peu importe sa condition sociale ? « Les inégalités économiques sont plus criantes aujourd’hui qu’en 1976, mais paradoxalement on attend moins de l’État aujourd’hui qu’à cette époque-là. Au moment de l’adoption, l’État se donnait des moyens et affichait une volonté d’action collective. Aujourd’hui, c’est l’austérité, le renoncement, où l’État arbitre l’allocation de ressources en diminution. Il semble y avoir un certain confort à ce que les inégalités soient grandes. Nous sommes plus rébarbatifs à la nécessité de mesures sociales pour assurer un niveau de vie décent à la population, à tout le monde. »
L’avocate poursuit avec une analogie : « La Cour suprême du Canada a déterminé, il y a quelques années, qu’on ne pouvait pas retirer à un enfant ayant un handicap les services particuliers auxquels il a droit. Un État ne peut pas retirer un droit simplement en prétextant “je n’ai plus d’argent pour te payer ces services-là”. En clair, la diminution des moyens ne peut pas servir de prétexte pour soustraire le gouvernement de ses responsabilités par rapport à un droit reconnu. » Il y a là un effet de cliquet (ou de « ratchet » pour utiliser un anglicisme), ce mécanisme qui empêche une roue dentelée de revenir en arrière, qui consiste à considérer irrecevable toute mesure qui, au lieu de rendre des droits plus effectifs, aurait pour objectif de revenir en arrière pour édicter un régime restrictif.
« Or, dit la juriste, il y a clairement un problème pour les locataires âgées, les femmes, qui sont souvent pauvres, les personnes ayant un handicap, les personnes racisées, les personnes itinérantes, les femmes monoparentales, à qui on a reconnu le droit à l’égalité. Aujourd’hui, me semble-t-il, il y a une résistance à mettre en œuvre le droit à l’égalité. On doit passer d’un discours de sensibilisation à des mesures concrètes pour régler les problèmes de discrimination. Comment ça se fait que les villes n’aient pas d’obligation de faire en sorte que le parc de logements pour lequel elles ramassent des taxes assure un logement décent aux gens ? Est-ce que les politiques de soutien à l’urbanisation pourraient faire en sorte que l’on assure une proportion de logements à prix abordable ? Et je parle de logements “réels”, pas la compensation qu’un promoteur immobilier peut payer s’il ne veut pas les fournir ! »
Celle qui est aujourd’hui sénatrice termine sur une note d’espoir : « C’est possible de faire progresser nos dossiers. Il y a une plus grande interpénétration entre les situations locales, nationales et internationales et les textes et documents adoptés au niveau mondial ont une incidence de plus en plus grande sur les décisions des gouvernements. » Or, le Canada et le Québec ont tous deux ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui reconnaît le droit de chacun à un niveau de vie suffisant, et notamment à un logement convenable.
[1] Les deux principaux textes internationaux affirmant le droit au logement sont la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, tous deux ratifiés par le Canada et le Québec.
Lisez l’entrevue « Le logement, le droit de tous les droits »