27 février 2017
Lettre ouverte au gouvernement du Canada.
Les politiques publiques pour le droit au logement oscillent généralement entre le soutien à la construction de logements sociaux ou des aides personnalisées pour que les ménages en difficulté puissent se loger dans le marché privé à but lucratif. Dans le cadre d’une stratégie nationale ambitieuse comme celle que le gouvernement fédéral est en train d’élaborer, censée assurer le droit de tous les Canadiens à un logement « sécuritaire, adéquat et abordable », investir dans la production de nouveaux logements sans but lucratif est une avenue plus structurante et porteuse de résultats durables. Alors que le deuxième budget du ministre Morneau pointe à l’horizon, il est à souhaiter que les mesures qui s’y retrouveront iront dans ce sens.
À première vue, les programmes qui privilégient l’aide à la personne peuvent sembler plus efficaces et moins coûteux, parce qu’ils ne requièrent pas la construction de nouveaux logements ni les dépenses en immobilisation qui y sont associées. Mais cette qualité est aussi leur principal défaut : ces programmes n’aident en rien à corriger les carences de l’offre de logement dans le marché privé et les dépenses qu’ils engagent doivent être renouvelées de façon perpétuelle, ce qui en fait des puits sans fond pour les finances publiques. S’ils peuvent jouer un rôle d’appoint dans certains marchés présentant des caractéristiques particulières ou des situations d’urgence, ils ne sauraient fonder une stratégie globale orientée vers la réalisation du droit au logement.
Le coût élevé des loyers dans le marché privé et leur tendance à augmenter plus fortement que le revenu des ménages les plus pauvres expliquent en grande partie les difficultés rencontrées par un trop grand nombre de nos concitoyens en matière de logement. Or, les programmes de supplément au loyer dans le marché privé encouragent cette tendance à la hausse. Plusieurs études réalisées dans des juridictions où l’on a privilégié cette approche ont révélé son effet inflationniste sur le coût global des loyers.
Lorsque les taux d’inoccupation sont à la hausse, il se trouve certes des propriétaires prêts à louer leurs logements à des ménages en difficulté, dans la mesure où l’État soutient, voire garantit le paiement du loyer. Mais quand le marché se resserre et que la demande excède l’offre, ils n’y voient plus nécessairement d’intérêt, en particulier lorsqu’il s’agit de clientèles aux prises avec des difficultés d’intégration sociale, qui exigent un accompagnement dépassant largement ce que les propriétaires immobiliers sont capables d’offrir. L’expérience démontre que même quand ces locataires se comportent de manière exemplaire, si des clients capables de payer plus se présentent, les propriétaires n’hésitent pas à rompre leurs ententes pour accueillir ces nouveaux demandeurs.
Contrairement aux suppléments au loyer dans le marché privé, qui doivent être renouvelés à perpétuité et dont les coûts augmentent avec le temps, le logement sans but lucratif favorise l’abordabilité à long terme et la stabilité des loyers des logements créés. Les organismes qui les possèdent ne visent pas à réaliser un gain en capital; leurs immeubles ne sont pas destinés à être revendus à profit ni à alimenter le marché spéculatif. Dès le départ, leurs loyers sont inférieurs à ceux du marché; par la suite, ils augmentent plus faiblement que ces derniers et conservent leur abordabilité.
Des données recueillies auprès des organismes ayant bénéficié du soutien de la Société canadienne d’hypothèques et de logement révèlent un écart de près de 33% entre leur loyer médian et celui du marché. L’aide au paiement du loyer offerte à certains de leurs locataires est donc beaucoup moins coûteuse qu’elle l’est dans le marché privé : au Québec, on parle ainsi d’un coût mensuel moyen de 230$ dans les organismes du parc fédéral comparativement à 316$ dans le marché privé.
Cela dit, les problèmes des ménages en matière de logement ne sont pas que financiers. Surpopulation pour les familles nombreuses, problèmes de salubrité et de détérioration du cadre bâti, inefficacité énergétique : les programmes qui soutiennent le logement communautaire – qu’il s’agisse de construction neuve ou d’achat et de rénovation d’immeubles existants – permettent de s’attaquer à ces problèmes. Ils contribuent ainsi à la revitalisation du parc immobilier et au dynamisme des communautés, et font en sorte que l’offre globale de logement corresponde aux besoins des personnes et des familles.
Une autre caractéristique qui distingue le logement communautaire du logement à but lucratif, c’est que le premier facilite l’organisation et la dispensation des services de soutien aux locataires en difficulté, dont plusieurs éprouvent des problèmes connexes (toxicomanie, santé mentale, pauvreté extrême, itinérance plus ou moins chronique, perte d’autonomie chez les aînés, etc.). De par son caractère collectif, le logement sans but lucratif devient un point d’ancrage, qui permet la mise en commun des ressources publiques et communautaires disponibles.
Au fond, les programmes basés sur l’aide à la personne relèvent plus des politiques de redistribution et de transferts sociaux que d’une véritable politique d’habitation; en cela, ils interfèrent nécessairement avec les autres mesures et programmes en place. À l’échelle du pays, la mise en œuvre d’un programme d’aide à la personne en matière de logement exigerait des aménagements et arrimages beaucoup plus complexes qu’un programme de développement de nouveaux logements.
Il est donc à souhaiter que les orientations budgétaires du gouvernement du Canada en cette matière privilégieront le développement du parc de logement communautaire.
Jacques Beaudoin
Responsable de la recherche et de la formation
Réseau québécois des OSBL d’habitation
Consultez notre dossier sur la Stratégie nationale d’habitation