10 mai 2017
Sous prétexte de protéger les aînés, on risque fort d’en envoyer 2 813 à la rue. Il manque au moins 10 millions $ au programme d’aide à l’installation des gicleurs pour permettre aux résidences pour aînés sans but lucratif d’installer les gicleurs que le MSSS exige pour qu’ils continuent d’opérer d’ici le 2 décembre 2020. Présentation des faits et des solutions proposées par le RQOH dans ce dossier où la volonté de faire le mieux risque de provoquer le pire !
La décision de soumettre les exploitants des résidences pour aînés à cette nouvelle exigence a été prise par le gouvernement du Québec à la suite de l’incendie de la Résidence du Havre à L’Isle-Verte et du rapport d’enquête qui l’a suivi. Il va sans dire qu’installer un système de gicleurs est particulièrement complexe et dispendieux lorsqu’il s’agit d’un bâtiment déjà construit. Mais apparemment, comme l’a dit candidement l’ex-ministre Sam Hamad lorsqu’il a annoncé la décision du gouvernement, « la sécurité des aînés n’a pas de prix ». Sauf que la question demeure ouverte à savoir qui, en fin de compte, en assumera les frais.
« Lorsqu’on parle des résidences pour aînés, les gens pensent d’abord aux grandes résidences à but lucratif dont on voit la publicité un peu partout, explique le trésorier du RQOH et lui-même directeur de la Résidence Le Jardin à Trois-Rivières, Richard Maziade. Or, sur les 1 800 résidences certifiées par le ministère de la Santé et des Services sociaux, il y en a un peu plus de 200 qui appartiennent à des organismes communautaires sans but lucratif. » Ces résidences offrent un logement abordable et des services adaptés aux aînés à faible revenu, qui n’ont pas les moyens de payer l’augmentation de loyer imposée par les frais d’installation des gicleurs. « Nos organismes sont administrés par des bénévoles qui se démènent pour équilibrer le budget, poursuit M. Maziade. Le coût des loyers en résidences privées augmente sans cesse et les aînés n’ont pas tous la capacité de payer, d’où la nécessité de supporter les OSBL pour personnes âgées. »
Parmi ces quelque 200 résidences sans but lucratif, on en compte 80 qui ne sont pas déjà munies d’un système de gicleurs et sont donc visées par l’obligation d’en installer. La majorité d’entre elles sont de petites résidences de moins de 30 logements et sont situées en milieu rural. Pour certaines, les travaux impliquent aussi l’aménagement d’un bassin d’alimentation en eau autonome, le bâtiment n’étant pas raccordé à un système d’aqueduc.
Globalement, on estime au moins à 15 millions de dollars les coûts d’installation des gicleurs dans ces 80 résidences. Or, le programme d’aide financière mis en place par le gouvernement n’en remboursera que le tiers. Il reste donc un manque à gagner de plus de 10 millions de dollars, que les organismes – et encore moins leurs locataires – n’ont pas les moyens de combler, ce qui en forcera plusieurs à remettre en question leur activité.
Le cas de la Résidence Notre-Dame-de-Fatima, à Sainte-Agathe de Lotbinière, illustre bien les difficultés créées par la décision du gouvernement. Dans une lettre adressée à M. Lessard qui est député de la circonscription, Claude Robert, président du conseil d’administration, fait le point sur le dilemme auquel son organisme est confronté : « Notre résidence a vu le jour il y a 32 ans. Un groupe de citoyens et citoyennes, voulant sauver le vieux couvent, a initié le projet. Plus de 1 300 heures de bénévolat et une levée de fonds ont convaincu les différents partenaires d’embarquer dans le projet. À cette époque, les normes étaient moins exigeantes et notre bâtiment n’est pas giclé. »
Les premières évaluations estiment à 200 000 $ le coût des travaux, qui requerront en plus la construction d’un réservoir et d’un système de pompes, car le réseau d’aqueduc municipal n’est pas suffisamment puissant pour supporter la demande en eau en cas de déclenchement du système. Selon les barèmes du programme d’aide financière administré par le MSSS, l’organisme aura droit à une aide financière d’un peu moins de 36 000 $. « On parle donc d’un manque à gagner d’au moins 160 000 $, pour notre organisme de 18 logements ! s’indigne M. Robert. Nous n’avons pas de marge de manœuvre et encore moins de surplus accumulés qui nous permettraient d’assumer ou de financer une telle dépense. Nous serons obligés de renoncer aux buts même de l’existence de la résidence, soit d’offrir à moindre coût un milieu de vie à notre clientèle, tout en permettant à ces personnes de demeurer dans leur milieu. »
En milieu urbain, le financement de l’installation des gicleurs n’est pas nécessairement plus facile. Aux Résidences Kirouac, qui sont situées en plein cœur de la capitale et dont le bâtiment à gicler compte 68 logements, le coût des travaux est estimé à 340 000 $. L’organisme évalue ainsi son manque à gagner à plus de 225 000 $. « Notre organisme ne vise qu’à offrir un toit et des services à moindre coût et de façon pérenne aux aînés à faible ou moyen revenu, explique le représentant des Résidences, Claude Bisson. Notre immeuble n’est pas destiné à la revente », ajoute-t-il, contrairement aux résidences à but lucratif dont les exploitants profiteront éventuellement de l’augmentation de la valeur de leur propriété suite à l’installation de gicleurs.
Parmi les 80 résidences sans but lucratif qui doivent faire ces travaux, le cas du Jardin des Aînés à Chibougamau est particulièrement inquiétant. Il s’agit d’une petite résidence de 13 logements pour aînés autonomes. En 2014, devant l’imminence de l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition du règlement sur la certification des RPA qui l’aurait obligé à maintenir du personnel de surveillance en tout temps dans la résidence (une dépense d’au moins 150 000 $ par année !), l’organisme s’est vu contraint de renoncer à sa certification. Conséquence de cette décision, les locataires ont subi une diminution de leur crédit d’impôt pour maintien à domicile de l’ordre de 500 $ annuellement…
Après l’annonce par le ministre Gaétan Barrette d’assouplissements qui permettront à la résidence de continuer à fonctionner avec des mécanismes de surveillance tout aussi sécuritaires mais bien moins coûteux, l’organisme a décidé de réintégrer la certification et les résidents ont pu retrouver leur crédit d’impôt. L’immeuble n’étant pas muni de gicleurs, il doit maintenant planifier leur installation, pour un coût estimé à 150 000 $. Dans son cas, comme la résidence n’était pas certifiée le jour où le gouvernement a publié son décret, l’organisme n’est carrément pas éligible au programme d’aide financière du MSSS et ses locataires devront assumer la totalité des coûts !
Avec l’adoption prochaine d’un nouveau règlement sur la certification des RPA, des douzaines d’OSBL d’habitation pour aînés qui ont été contraints de se « décertifier » dans les dernières années devront évaluer les pour et les contre d’un retour à la certification. Pour ceux qui ne sont pas munis de gicleurs et qui seraient obligés d’en faire l’installation, les coûts associés à cette obligation pèseront certainement lourd dans la balance.
Comme le rappelle Richard Maziade : « les OSBL d’habitation et les fédérations régionales membres du RQOH ont travaillé très fort, au cours des trois dernières années, pour faire valoir la réalité et les caractéristiques spécifiques des habitations communautaires pour aînés. Le ministre Barrette a fait preuve d’une belle ouverture et exprimé à plusieurs reprises sa volonté de protéger les résidences sans but lucratif et les aînés qui y habitent. Il serait tout à fait contre-productif que cette volonté se heurte à leur incapacité de financer l’installation des gicleurs. »
Au cours des dernières semaines, le RQOH a relancé ses représentations et interpellé les décideurs pour que le programme d’aide financière du MSSS soit bonifié ou qu’un programme spécifique aux résidences sans but lucratif soit mis en place. Il faut protéger l’abordabilité du milieu de vie des locataires aînés qui habitent dans ces résidences, et qui ne peuvent en payer le prix. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement.