7 septembre 2017
Un certain nombre d’OSBL d’habitation ont mis en place une politique d’habitation sans fumée dans leurs immeubles ou envisagent de le faire. En cela, ils rejoignent une tendance qui prend de l’ampleur dans le marché immobilier résidentiel. Comme beaucoup de monde, les locataires qui habitent en logement communautaire sont nombreux à être sensibles aux méfaits causés par la fumée de tabac secondaire. L’implantation d’une politique d’habitation sans fumée dans un OSBL d’habitation implique toutefois un arbitrage délicat entre les volontés des uns et des autres.
Les OSBL d’habitation ne sont évidemment pas à l’abri de ce phénomène. Des groupes d’un peu partout ont entrepris de discuter de cet enjeu, et certains ont déjà mis en place une politique d’habitation sans fumée en impliquant leurs locataires. Survol des questions en jeu et de l’expérience de certains organismes qui ont choisi ou envisagé d’aller dans cette direction.
Situé dans le quartier La Petite-Patrie à Montréal, l’organisme Un Toit pour tous offre une soixantaine de logements répartis dans trois immeubles à des personnes seules, des couples et des familles monoparentales. Réalisé dans le cadre du programme AccèsLogis Québec, le projet se démarque par son caractère résolument avant-gardiste en matière d’écoénergie et de développement durable. Les locataires sont invités à participer à cet effort collectif et à adopter des comportements conséquents en matière de recyclage, de compostage ou d’utilisation des transports collectifs. La question de l’interdiction des produits du tabac à l’intérieur des logements y a donc naturellement fait surface, à la demande de plusieurs locataires sensibilisés à cet enjeu.
Gestionnaire du projet, Danielle Bossé explique que l’organisme a mis en place certaines mesures, comme l’amélioration du calfeutrage, pour limiter la propagation de la fumée à l’extérieur des logements où habitent des locataires fumeurs. Mais comme l’immeuble dispose d’un système géothermique, la distribution de la circulation d’air s’avère délicate et il est rapidement apparu que ces mesures ne répondaient pas totalement aux préoccupations des locataires non-fumeurs.
Madame Bossé ajoute : « L’organisme a alors décidé de consulter l’ensemble des locataires par sondage, et une majorité (68%) nous a clairement dit souhaiter l’adoption d’une politique d’habitation sans fumée. » Après bien des discussions, l’organisme a finalement choisi de procéder par attrition, en respectant le « droit acquis » des locataires déjà sur place. Un Toit pour tous annonce d’ailleurs maintenant des « logements non-fumeurs » aux requérantes et requérants qui souhaitent s’y loger. Petit à petit, le nombre de logements sans fumée ira donc croissant. Bien qu’aucune décision n’ait encore été prise, l’organisme envisage maintenant de désigner deux de ses immeubles sans fumée, ce qui permettrait de répondre aux préoccupations légitimes de l’ensemble des locataires, actuels ou futurs.
Alors que les dommages causés par le tabagisme sont désormais largement admis et que la proportion de fumeurs diminue de façon à peu près constante parmi la population québécoise, un nombre croissant de personnes se montrent préoccupées par les impacts de la fumée de tabac secondaire sur leur santé et leur confort. Cela se traduit par une demande accrue pour des logements et des immeubles sans fumée.
Un enjeu global
D’aucuns sont d’avis que les personnes qui habitent en logement communautaire ont droit elles aussi à un environnement sain et respectueux de leur santé. En outre, les dommages causés par la consommation des produits du tabac entraînent des coûts élevés de remise en état des logements, qui ajoutent à la pression que subissent des organismes qui doivent équilibrer leur budget tout en maintenant les loyers le plus bas possible pour l’ensemble des locataires.
Il est maintenant admis que les locateurs peuvent adopter un règlement interdisant la consommation des produits du tabac à l’intérieur même de leurs logements… à certaines conditions. De la même façon qu’un locateur peut interdire la possession d’un animal de compagnie (sous réserve d’offrir un accommodement raisonnable aux locataires dont la condition médicale ou le handicap justifie la présence d’un tel animal), il est possible d’inclure au bail une clause interdisant de fumer à l’intérieur du logement ou de prévoir une telle stipulation dans le règlement d’immeuble (dont un exemplaire, rappelons-le, doit être remis au locataire avant la conclusion du bail).
L’ajout d’une telle interdiction après la signature du bail est toutefois beaucoup plus incertain. Le locateur doit alors procéder par avis de modification en respectant les délais usuels. Le locataire peut alors refuser la modification, auquel cas il appartiendra au locateur de démontrer que la consommation des produits du tabac cause un inconvénient majeur à lui-même, à l’organisme ou aux autres locataires.
Concernant les autres locataires justement, il faut se rappeler qu’en signant un bail, le locateur s’est engagé à délivrer le logement en bon état d’habitabilité et de propreté et à leur en procurer la jouissance paisible. Le locataire indisposé par la présence de fumée de tabac secondaire d’un voisin dispose dès lors d’un recours contre le locateur pour la perte de jouissance du logement qu’il a loué… On voit tout de suite les défis que cela peut poser pour un OSBL d’habitation, dont la mission est d’abord et avant tout d’offrir un logement abordable à des personnes à faible revenu ou éprouvant des besoins spéciaux.
Dans ce dossier, on est en présence d’une situation assez typique de conflit de droits : entre le droit au respect de la vie privée (« je suis dans mon logement et j’ai bien le droit de fumer dans cet espace d’intimité ») et le droit des autres occupants d’un immeuble de jouir paisiblement de leur logement (« je connais les méfaits de la fumée de tabac secondaire, je suis asthmatique et la fumée provenant du logement voisin me rend malade »).
Autre exemple d’un organisme ayant choisi de procéder par attrition, les 56 logements offerts par la Corporation Domaine des Pèlerins à Saint-André-de-Kamouraska sont désormais visés par une interdiction de fumer. Le président du conseil d’administration, Gervais Darisse, explique comment l’organisme, qui offre des logements et des chambres avec services à des personnes aînées, a procédé : « Au moment où la politique a été mise en place en 2006, la résidence comptait seulement trois fumeurs sur les 37 unités locatives dont on disposait. Avec l’accord de tous les locataires, nous avons décidé d’aller de l’avant, tout en permettant à ces trois personnes de déroger à la règle, tant et aussi longtemps qu’ils occuperaient leur logement. Dix ans plus tard, notre politique est bien en place et nous offrons un environnement sans fumée, sain et sécuritaire. »
Autre conséquence heureuse de l’adoption de cette politique, l’organisme a vu l’impact positif qu’elle a eu sur les coûts de remise en état des logements après le départ d’un locataire. Monsieur Darisse donne en exemple le cas d’un logement occupé par un gros fumeur, dont les coûts de remise en état se sont chiffrés à quelque 10 000$ de plus que les frais habituels. Pour un organisme sans but lucratif qui maintient des loyers abordables, il s’agit certes d’une différence appréciable.
Il reste que chaque OSBL-H appelé à se positionner doit le faire à partir de sa réalité propre et en fonction de sa mission. Organisme offrant des logements à des personnes ayant des besoins particuliers dans le centre-ville de Montréal, Un Toit en ville a eu cette discussion avant d’inaugurer le nouvel immeuble de 22 logements dont il a assuré la réalisation sur la rue Berger.
Partant du principe que les personnes en difficulté ont elles aussi droit à un environnement sain et qu’un bâtiment sans fumée est avantageux autant pour les locataires que l’organisme, des administrateurs ont souhaité inclure cette condition avant d’accueillir les premiers requérants. Le président du conseil d’administration, Guy Robert, rapporte que cela a donné lieu à des discussions parfois tendues, où les intérêts et la vision des uns et des autres se sont entrechoqués : « En fin de compte, la majorité a décidé de ne pas aller dans cette direction; plusieurs craignaient qu’il allait être trop difficile, pour l’organisme, de faire appliquer son règlement. »
Monsieur Robert reste convaincu que l’ensemble du mouvement de l’habitation communautaire et chaque organisme devront éventuellement se positionner. L’entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale sur le cannabis le 1er juillet 2018 en amènera vraisemblablement plusieurs à vouloir évaluer les options qui s’offrent à eux.
Pour que la discussion soit fructueuse et se conclue par la meilleure décision qui soit en fonction des particularités de chaque organisme, la participation de toutes les personnes concernées et la mise à leur disposition d’une information complète et rigoureuse s’imposent.
Créé par l’Association pour les droits des non-fumeurs, le site Web habitationssansfumeeqc.ca regroupe des fiches d’information et des outils pratiques pour ceux qui envisagent de mettre en place un règlement interdisant de fumer dans les immeubles à logements. Les organismes intéressés peuvent notamment s’inscrire sur le registre des habitations sans fumée qui s’y trouve. Les fédérations régionales et le RQOH s’avèrent également des ressources incontournables pour accompagner les groupes qui souhaitent mener la discussion. N’hésitez pas à y avoir recours.