22 janvier 2018
Un nombre croissant d’OSBL d’habitation ont adopté ou envisagent d’adopter un règlement sur la consommation des produits du tabac à l’intérieur de leurs logements. La discussion sur cet enjeu est notamment stimulée par l’entrée en vigueur prochaine de la nouvelle loi sur le cannabis, qui soulève de nouvelles questions. Le colloque du RQOH, qui aura lieu du 16 au 18 avril à Québec, proposera un atelier sur les habitations sans fumée et le délicat exercice de pondération entre les intérêts des uns et des autres que les organismes sont appelés à réaliser. D’ici là, afin d’alimenter la réflexion, vous pouvez prendre connaissance de cette lettre ouverte récemment publiée par des intervenants des milieux de la santé et de l’habitation.
* * *
Depuis 20 ans, d’énormes progrès ont été réalisés en matière de protection de la population contre la fumée de tabac secondaire (FTS) dans les lieux publics et les milieux de travail au Québec. Ces progrès ont transformé les normes sociales à l’égard du tabagisme et ont provoqué un effet d’entraînement dans le secteur résidentiel où de plus en plus de ménages ne permettent plus de fumer à l’intérieur de leur maison. Dans le cas des immeubles résidentiels, la situation est plus compliquée puisqu’il est toujours possible d’être exposé à la FTS provenant des logements voisins. D’ailleurs, il s’agit encore de l’un des derniers endroits où l’on continue à rapporter de sérieux problèmes d’exposition à la FTS.
On constate cependant une tendance au Québec où de plus en plus de propriétaires d’immeubles résidentiels du secteur privé ne permettent plus de fumer dans leurs logements. Les administrateurs d’immeubles de logements abordables commencent également à manifester de l’intérêt pour trouver des solutions afin de mieux protéger leurs locataires contre la FTS. Malheureusement, de telles interventions ne font pas l’unanimité. On craint qu’elles viennent accentuer les inégalités sociales en imposant des contraintes additionnelles aux fumeurs démunis désireux d’accéder à un logement abordable. À notre avis, il importe de recadrer le sujet dans un contexte d’équité en santé.
« L’équité en santé correspond au principe selon lequel tous les gens devraient pouvoir aspirer à un état de santé optimal et ne devraient pas être limités à cet égard en raison … de leur situation socio‑économique ou de tout autre attribut social. » Le logement abordable vient déjà jouer un rôle important au niveau de l’équité en santé en permettant aux plus démunis de pouvoir obtenir un lieu de résidence. Or, les sondages montrent que les taux de tabagisme sont généralement plus élevés parmi ce groupe socio-économique, ce qui signifie une présence plus abondante de FTS dans les immeubles de logements abordables. Malheureusement, on mentionne trop peu que les logements abordables abritent aussi une clientèle avec un taux plus élevé d’invalidité et de maladies chroniques comme l’asthme ou le diabète, des conditions qui la rendent plus vulnérable à toute exposition de FTS.
Il s’agit déjà d’un défi pour tout occupant d’un immeuble résidentiel du secteur privé de se relocaliser si toutes ses autres options pour se prémunir contre des infiltrations de FTS sont épuisées. Or, en 2016, plus de 44 000 personnes se retrouvaient sur les listes d’attente au Québec pour obtenir un logement abordable et le délai d’attente moyen avant de s’en faire offrir un s’élevait à plus de 3 ans et demi. On peut donc s’attendre à ce qu’une personne défavorisée qui parvient à obtenir un logement abordable soit beaucoup moins encline à s’en départir si elle subit un inconvénient à cause de la FTS. En fait, pour les bénéficiaires les plus fragilisés, l’option de déménager n’est même pas envisageable. Le fait d’offrir un environnement sans fumée dans les immeubles de logements abordables assurerait ainsi une plus grande équité en santé pour cette clientèle.
Les préoccupations à l’égard des fumeurs ne doivent pas être ignorées pour autant. Il faut toutefois préciser que l’enjeu ici consiste à éliminer la présence de FTS dans les immeubles résidentiels et non à empêcher un fumeur d’accéder ou de rester dans un logement abordable ou encore de le forcer à cesser de fumer. Il peut évidemment continuer à fumer à l’extérieur de l’immeuble ou encore consommer dans son logement des produits alternatifs de nicotine sans combustion comme la gomme Nicorette. Par ailleurs, on peut toujours élaborer un plan global pour mettre en place le règlement sans fumée, plan qui tient compte des difficultés des fumeurs pour s’adapter à ce nouvel environnement. Par exemple, on peut prévoir une transition graduelle vers un environnement sans fumée ou encore une plus grande accessibilité aux services de cessation tabagique. Il faut aussi admettre que les environnements sans fumée incitent les fumeurs à réduire leur consommation ou à cesser de fumer.
La politique de prévention en santé du gouvernement du Québec lancée en 2016 reconnaît que « plusieurs facteurs associés à la qualité de l’air intérieur des bâtiments, dont l’exposition à la fumée de tabac, …, présentent un risque pour la santé, en particulier chez les populations défavorisées sur le plan socioéconomique. » Toute initiative visant à éliminer la présence de FTS dans les logements abordables s’alignerait donc avec cette politique et constituerait toute une avancée en matière d’équité en santé dans le milieu résidentiel au Québec.
Sylvain Boily
Directeur général
Office municipal d’habitation de Longueuil
Mario Champagne, M. Sc., MPH, CHES
Agent de planification, de programmation et de recherche
Direction de santé publique
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale
François Damphousse, M. Sc.
Directeur, bureau du Québec
Association pour les droits des non-fumeurs
Docteure Claire Jutras
Médecin-conseil, M.D., M. Sc., CSPQ.
Direction de santé publique – Prévention/Promotion
Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides
Docteur Fernand Turcotte
Professeur émérite
Université Laval