Le « Réflexe Montréal », au centre d’une entente-cadre entre le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal relatif au « statut particulier » de cette dernière, annonce une dévolution des pouvoirs de la SHQ vers la métropole. Ce « nouveau pacte » réclamé par les maires des grandes villes pourrait avoir d’importantes conséquences pour le logement communautaire partout au Québec.

Il est encore difficile de connaître les impacts qu’aura cette entente-cadre sur les différents enjeux qu’elle englobe, de l’habitation à l’éducation en passant par l’immigration et le développement économique. Le détail ne sera connu que lorsque le gouvernement du Québec aura effectivement conclu avec la Ville de Montréal des accords sectoriels précis inscrit dans une loi. En ce qui concerne l’habitation, notamment, le document rendu public annonce que la Société d’habitation du Québec transférera à la Ville de Montréal la responsabilité et les budgets relatifs au développement de l’habitation sur son territoire.

Questionnés à ce sujet, même les plus hauts responsables de la SHQ n’ont pas été en mesure de fournir au RQOH des détails sur ce que cela impliquera pour les organismes voulant soumettre des projets ou le niveau précis d’autonomie que pourrait obtenir la Ville de Montréal. Si les négociations entre Québec et Montréal aboutissent au bout de cette logique, cela pourrait signifier qu’approximativement 35 % du budget consacré au logement communautaire pourrait ne plus être géré en fonction des programmes de la SHQ. Il y aurait donc deux vitesses pour le logement communautaire québécois.

On se souvient qu’en avril 2016, dans le cadre du colloque « Parce que l’avenir nous habite », Russell Copeman, membre du comité exécutif et responsable de l’habitation à la Ville de Montréal (et maire de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce) avait interpellé Québec sur cette question. « Tout [notre] travail [comme ville mandataire] est fait en double !, avait-il déclaré. La Ville de Montréal évalue les projets en appliquant tous les critères de la SHQ, qui impose déjà énormément de règles, lui transmet l’ensemble du dossier… qui est aussitôt entièrement réévalué par la SHQ ! Deux corps publics font exactement la même chose, avec les délais et les coûts que cela engendre… Montréal veut être maître d’œuvre, avec les OSBL et les promoteurs, sans être soumis au carcan au niveau financier et administratif de la SHQ avec ses règles parfois archaïques et contre-productives. »

À l’heure actuelle, outre Montréal, seules les villes de Québec et de Gatineau ont le statut de ville mandataire, tandis que plusieurs parmi les grandes municipalités réclament cette reconnaissance pour elles-mêmes. Jusqu’à maintenant, le statut de ville mandataire conférait à la municipalité la responsabilité de l’application des programmes et des normes de la SHQ sur son territoire. La nouvelle entente pourrait signifier que Montréal obtienne l’équivalent d’un « droit de retrait avec compensation ». Si cela s’avérait, la métropole pourrait mettre sur pied ses propres programmes de développement.

Si le projet de loi ayant été déposé dans la foulée de l’entente-cadre était adopté, la Ville de Montréal obtiendrait des pouvoirs lui permettant de rendre obligatoire l’inclusion de logements abordables dans les projets immobiliers et d’imposer des exigences en matière de typologie des logements. De plus, elle obtiendrait des pouvoirs accrus en matière de lutte à l’insalubrité dans les immeubles à logements.

Notion floue s’il en est, le « Réflexe Montréal » désigne « la prise en compte » par Québec des « spécificités de la Ville de Montréal », à la manière d’un automatisme ou d’un mouvement qui va de soi. Québec promet donc de « tenir compte du statut de métropole de la Ville de Montréal » dans l’élaboration de ses politiques. Puisque l’on sait que des négociations similaires ont lieu entre le MAMOT et la ville de Québec pour accorder à cette dernière le statut de « Capitale nationale », il est possible d’envisager que d’ici peu, à peu près la moitié des activités de la SHQ auront été décentralisées vers les villes.

L’Ontario de Mike Harris a également choisi de « municipaliser » le logement dans les années 1990. Depuis, les principaux partis politiques du Québec ont tenté à des degrés divers d’implanter ce genre de réforme au Québec, avec plus ou moins de succès jusqu’à présent. Si la tendance se maintient, M. Coiteux aura donc réussi à faire en douceur ce que bien des politiciens québécois, libéraux comme péquistes, souhaitent faire depuis 25 ans ! Or, dans le domaine du logement, cette politique a eu des effets désastreux en Ontario. Là-bas, la panne de construction de nouvelles unités a mené à un déficit de logement communautaire dont la province ne s’en est pas encore remise.

Au cours des prochains mois, il faudra donc consacrer temps et énergie pour bien cerner les conséquences possibles de ce transfert de responsabilités sociales accrues à l’échelle locale. La décentralisation vers les villes, si elle peut rapprocher les citoyens des décisions concernant leur territoire, ne doit pas être synonyme de disparités et d’inégalités. On pourrait ouvrir la porte à ce que les grandes villes possédant des moyens et une politique du logement soient en mesure de déployer un programme de développement raisonnablement convenable, tandis que les petites municipalités seraient laissées pour compte. L’État québécois a la responsabilité de définir et de maintenir certains principes et règles qui garantissent que l’on ne se retrouve pas devant du développement à deux vitesses entre les différentes villes et municipalités.