7 septembre 2017

Loger les aînés à faible revenu et les aînés des milieux ruraux grâce au logement communautaire

La question de l‘habitation est une préoccupation importante pour nombre de personnes aînées et retraitées au Québec. La question du chez-soi revêt une importance toute particulière à cette étape de la vie, qu’il s’agisse des coûts que représentent l’habitation et son entretien, de la possibilité de demeurer dans sa communauté malgré une diminution de ses capacités ou d’obtenir des soins et services selon ses besoins. En milieu rural, l’habitation communautaire joue un rôle de premier plan pour répondre à ces inquiétudes.

De plus en plus conscientes de la complexité des enjeux sous-jacents, les municipalités ont commencé à se soucier de la disponibilité de formules d’habitation adaptées aux besoins de leur population vieillissante sous l’impulsion des consultations orchestrées dans le cadre de leur démarche Municipalité amie des aînés (MADA). Les résultats d’un récent sondage indiquent d’ailleurs que plus de 80 % des MADA abordent cette question lors du diagnostic social, et que 70 % d’entre elles inscrivent des mesures liées à l’habitation dans leur plan d’action MADA.

Vieillir à domicile est le premier choix de la majorité des aînés québécois. Toutefois, exercer ce choix n’est pas à la portée de tous, en particulier lorsque surviennent des événements critiques comme le décès du conjoint et les maladies incapacitantes, ou encore la difficulté d’accéder (critères d’admissibilité, accès géographique ou financier) aux soins et services requis par sa condition. Force est d’admettre que les personnes aînées ne forment pas un groupe homogène, que ce soit en termes de statut socio-économique, de condition de santé, ou de réseau de soutien.

L’Enquête québécoise sur les limitations d’activités indiquait que 31,6 % des personnes qui vivent avec un problème de santé de longue durée sont des personnes de 65 ans et plus. La situation n’est pas identique pour les hommes et les femmes puisque la prévalence d’au moins un problème de santé de longue durée est plus élevée chez les femmes [85,9 % (femmes) vs 81,5 % (hommes)] et qu’elle augmente d’un groupe d’âge à l’autre, pour atteindre 87 % chez les gens de 75 ans et plus. La même étude met en lumière que près du tiers (31,6 %) des personnes de 65 ans et plus vivent sous le seuil de faible revenu. De plus, il faut considérer que les besoins évoluent au fil de l’avancée en âge alors même que les revenus tendent à diminuer. Selon l’Institut de la statistique du Québec, en 2010, les aînés de 75 ans et plus avaient un revenu médian de 19 500 $. En 2012, 568 000 personnes bénéficiaient du programme de Supplément de revenu garanti (SRG) au Canada, soit 44 % des personnes recevant la Pension de sécurité de vieillesse.

Autre facteur d’importance, le fait de vivre en situation de pauvreté accroît les risques d’isolement social, un facteur de vulnérabilité supplémentaire. La solitude, la dépression et un mauvais état de santé sont liés à l’isolement social, mais le retrait des lieux d’activités (bénévoles ou de travail rémunéré) ainsi que l’insuffisance de valorisation des aînés dans la société y participent également. Différentes études ont démontré que l’accumulation de désavantages socio-économiques durant le parcours de vie accentue la vulnérabilité sur le plan de la santé, qu’il s’agisse de conditions de santé défavorables, de revenus disponibles insuffisants, de difficultés d’accès à des réseaux formels et informels de soutien pour les personnes aînées. Tous ces facteurs peuvent être présents simultanément dans la vie des aînés. Ainsi, certains sous-groupes apparaissent moins favorisés au moment de la retraite, comme les personnes moins scolarisées, les travailleurs du secteur privé et les femmes. Considérant le grand nombre de personnes aînées susceptibles de cumuler les facteurs de risques, le fait que les habitations communautaires offrent des logements abordables et adaptés à la condition de chacun permet d’envisager la mise en place de solutions durables pour faciliter leur inclusion sociale. D’ailleurs, la Fédération internationale sur le vieillissement indique que le fait de continuer à habiter chez soi arrive en toute première position[1] des principaux enjeux préoccupant les aînés canadiens et soutient qu’une habitation abordable et adaptée réduit l’isolement et freine le processus de désengagement. Les liens sociaux peuvent ainsi être développés ou préservés grâce à un logement adéquat. « Un logement qui est adapté pour les aînés et abordable favorise un style de vie plus sain. Un bon design et une bonne planification peuvent réduire l’isolement et le désengagement, aidant les gens à rester en contact avec la collectivité ».

Un grand nombre de personnes retraitées se tournent vers les résidences privées pour aînés (RPA) puisqu’au Québec, plus de 90 % des RPA sont des propriétés privées à but lucratif, le reste étant constitué de coopératives et d’OSBL en habitation (OSBL-H) pour aînés. Ces entreprises privées, contrairement aux OSBL et coopératives, recherchent le profit – certaines d’entre elles étant même cotées en bourse – ce qui se traduit immanquablement par des loyers et tarifs plus élevés. En 2013, par exemple, le loyer moyen pour un logement de 3½ pièces en RPA privée était de 1 544$/mois, alors qu’on pouvait trouver l’équivalent entre 830 $ à 980 $ par mois en logement communautaire – subvention au logement exclue. Mais, avec le rythme accéléré du vieillissement de la population, le nombre d’unités de logement adaptées et abordables disponibles est insuffisant pour répondre aux besoins, notamment au chapitre de la capacité de payer, si bien démontré par le taux des besoins impérieux en matière de logement[2]. Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), 9 % des Québécois âgés de 65 ans et plus sont dans cette situation. Encore une fois, les femmes sont en moins bonne posture que les hommes; on retrouve une plus forte proportion de femmes présentant des besoins impérieux en matière de logement, tous groupes d’âge confondus. Chez les 65 ans et plus, 11,6 % d’entre elles, soit 70 395 femmes aînées, vivaient dans cette situation en 2011[3].

De plus, il faut bien comprendre que le chez-soi, c’est bien plus que le domicile. Les aînés souhaitent non seulement vieillir dans leur domicile, mais s’ils doivent quitter leur logis, ils veulent tout au moins demeurer dans leur milieu de vie, leur communauté d’appartenance. Or, dans les dernières années, la tendance est à la fermeture des RPA de petite taille, alors que ce sont principalement des RPA de très grande taille (100 unités et plus) qui, le plus souvent, font leur apparition[4]. Certes, il y a des avantages à concentrer les ressources dans de grands complexes. La présence à un même endroit d’une masse critique d’aînés permet aux grandes RPA d’offrir une plus grande variété de services. En contrepartie, le fait d’avoir accès à ces services se paie – il en coûte 343 $/mois de plus en moyenne (1 683 $ vs 1 340 $) pour résider dans une RPA de 90 unités et plus que dans une RPA de moins de 50 unités. Ce modèle de grande taille nécessite la proximité d’un nombre suffisant de clients potentiels – ce qui explique leur concentration dans les centres urbains et les villes-centres de MRC rurales, et désavantage les aînés qui résident en milieu rural.

Dans ce contexte, quelles options s’offrent aux aînés qui résident dans des municipalités à plus faible densité démographique? Sont-ils nécessairement condamnés à choisir entre le fait de se déraciner et de déménager vers le centre urbain le plus près ou le fait de se priver de services, ceux-ci n’étant pas disponibles dans leur municipalité? Et les aînés à revenu faible ou modeste, où pourront-ils se loger quand surviendra un épisode de perte d’autonomie?

Il est indéniable que l’habitation communautaire offre une piste de solution intéressante à ce dilemme. Issus de la mobilisation des citoyens et intervenants locaux, les OSBL et coopératives d’habitation sont profondément ancrés dans leur milieu, et à l’écoute des besoins de la communauté qui les voit naître. Contrairement aux nouvelles RPA privées, les OSBL et coopératives d’habitation du Québec sont généralement de taille modeste; la majorité des OSBL-H comptent 30 logements ou moins, et les coopératives, 17 logements ou moins. Cet élément permet une plus grande flexibilité dans la localisation des projets là où le besoin est présent, plutôt que là où le profit est possible.

De plus, le caractère non lucratif de ces organisations protège leurs résidents d’une inflation indue des coûts des loyers et services. Par ailleurs, l’habitation communautaire est admissible à l’aide gouvernementale, notamment par le biais de la Société d’habitation du Québec, afin de développer des logements abordables accompagnés de subventions au logement. Cet élément est non négligeable, sachant qu’une importante proportion des aînés québécois vivent sous le seuil de faible revenu.

Enfin, bien que nous ayons tendance à voir les aînés comme un groupe homogène, il est essentiel de se rappeler que ce groupe est en fait constitué d’individus ayant chacun des intérêts, valeurs et aspirations qui leur sont propres. Il est préférable, pour répondre aux besoins de tout un chacun, de disposer d’une diversité de ressources et modèles d’habitation sur un même territoire. Certains aînés plus fortunés peuvent s’offrir une résidence plus onéreuse, ou recherchent même un certain luxe; le privé est pour eux une option intéressante. Mais pour ceux qui ont des revenus plus modestes, l’habitation communautaire est sans doute plus appropriée.

Pour ces diverses raisons, un grand nombre d’acteurs impliqués auprès des aînés souhaitent voir se développer une large gamme de résidences pour aînés de toutes tailles, de toutes sortes, réparties sur l’ensemble du territoire. Les OSBL d’habitation pourraient jouer un rôle de premier plan dans cette diversification.

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Auteurs

Suzanne Garon, PhD. Professeure, École de travail social, Université de Sherbrooke et chercheure, Équipe de recherche MADA-Québec, Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSSE-CHUS

Christyne Lavoie, M.Serv.Soc. Agente de recherche, Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSSE-CHUS

Anne Veil, M.Serv.Soc. Professionnelle de recherche, Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSSE-CHUS

Références

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Bigonnesse, C., Garon, S., Beaulieu, M. et Veil, A. (2011). L’émergence de nouvelles formules d’habitation : mise en perspective des enjeux associés aux besoins des aînés, Économie et Solidarités, 41 (1-2), 88-103.

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Demers, L., Bravo, G., Dubois, M.-F., Dubuc, N. et Corbin, C. (2015). La certification des résidences privées pour aînés et la réponse aux besoins des retraités, Vie et vieillissement, 12 (2), 51-58.

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[1] Le concept du «vieillir chez soi» ou Ageing in place intègre les éléments suivants : l’habitation, pouvoir rester chez soi, les services communautaires à domicile, les villes amies des aînés, les technologies permettant de vieillir chez soi.

[2] La SCHL définit les « besoins impérieux en matière de logement » comme ceci : On dit d’un ménage qu’il éprouve des besoins impérieux en matière de logement si son habitation n’est pas conforme à au moins une des normes d’acceptabilité (qualité, taille et abordabilité) et si 30 % de son revenu total avant impôt serait insuffisant pour payer le loyer médian des logements acceptables (répondant aux trois normes d’occupation) situés dans sa localité.

[3] Les données émanant du Recensement de 2016 ne sont pas encore disponibles.

[4] Entre 2008 et 2014, on note une diminution 33,9 % du nombre de RPA de 9 places et moins au Québec; le nombre total de RPA a diminué de 14,6 % sur la même période. À l’inverse, on compte en 2014 une augmentation de 25,7 % des RPA de 100 places et plus par rapport à 2008.