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Que sont les conventions d’exploitation ?

 

Des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990, le logement social et communautaire s’est majoritairement développé avec l’aide du gouvernement fédéral.

cover-web-situation-economique-f5_final3L’aide accordée a pris diverses formes au fil des programmes qui ont été mis en place : prêt hypothécaire à taux réduit, subvention pour combler le déficit d’exploitation, aide individualisée permettant à certains locataires de payer un loyer ajusté à leur revenu, soutien à la gestion, etc. Les organismes ainsi soutenus devaient signer un contrat avec la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), dont le terme était prévu sur une période pouvant aller de 25 à 50 ans : c’est ce qu’on appelle les « conventions d’exploitation ». La majorité de ces conventions arriveront à terme dans les années qui viennent, si ce n’est déjà fait.

Les conventions d’exploitation ont généralement une durée équivalant à celle de l’hypothèque de l’immeuble. Les modalités et le type d’aide accordée varient en fonction des règles du programme de financement applicable (programme de l’article 56.1, Programme sans but lucratif-privé ou PSBL-P, etc.).

Une fois la convention échue, les organismes doivent assumer à la fois leurs dépenses de fonctionnement et les travaux d’entretien et de rénovation, mais aussi dégager un surplus s’ils veulent maintenir les loyers abordables pour les ménages à faible revenu. De plus, la fin des conventions entraîne la fin du soutien à la gestion offert par la SCHL. La situation s’annonce difficile pour certains organismes, en particulier ceux qui comptent un grand nombre de logements subventionnés. La pérennité du parc et la vocation sociale des projets sont ainsi remises en question.

Depuis 1994, le gouvernement fédéral ne subventionne plus directement le logement social et s’en tient au respect des engagements pris en vertu des conventions signées antérieurement. La contribution du gouvernement fédéral diminue donc d’année en année. Ces fonds, qui représentaient 2 milliards de dollars en 2003, se chiffrent aujourd’hui à 1,6 milliard, et ils passeront à 0 dollar en 2039, avec la fin des dernières conventions en vigueur. Les intervenants du secteur de l’habitation sociale et communautaire s’entendent pour dire que les fonds libérés par la fin des conventions devraient minimalement servir à maintenir les subventions au paiement du loyer pour les ménages à faible revenu et soutenir les projets de rénovation et de remise en état du parc existant.

 

Capture-fiche5-1La situation des organismes sans but lucratif d’habitation

L’enquête menée en 2014 par le Réseau québécois des OSBL d’habitation offre un aperçu de l’état actuel des OSBL d’habitation relativement à l’arrivée à échéance des conventions. Les situations sont différentes selon les programmes. Pour les projets des organismes ayant participé à l’enquête qui relèvent du programme de l’article 95 (ou 56.1), il restait en moyenne 5,7 années avant l’échéance au moment où l’enquête a été réalisée. Pour ceux relevant du PSBL-P, il restait en moyenne 13 ans.

De manière générale, on constate un degré de préparation insuffisant. La majorité des conseils d’administration (57%) des organismes interrogés n’ont en effet jamais discuté de la fin des conventions. Pourtant, certains seraient en mesure de franchir avec succès la fin des ententes s’ils s’y préparent et adoptent les mesures nécessaires. Au contraire, sans préparation, ils éprouveront bien des difficultés à y arriver. La viabilité de certains projets est loin d’être acquise, en particulier ceux qui relèvent du PSBL-P.

Seule une minorité d’organismes dit avoir adopté des mesures autonomes en vue de la fin des ententes. La plupart des organismes n’ont pas effectué de planification systématique dans le but d’anticiper les changements engendrés par la fin des conventions. Il s’agit par exemple de mettre en place des plans de gestion des actifs ou des plans de remplacement des immobilisations à partir d’un bilan de santé de l’immeuble (voir fiche no 4 — La pérennité des projets d’habitation en OSBL).

 

Quelles sont les répercussions ?

Actuellement, le gouvernement fédéral considère que son engagement se termine avec la fin des conventions. Cela risque de mettre plusieurs OSBL d’habitation dans des situations à risque. Selon une estimation du RQOH, quelque 24 000 logements en OSBL sont potentiellement touchés à l’échelle de la province. À court terme, les accords d’exploitation encadrant au moins 7 113 logements verront leur accord d’exploitation expirer dans les cinq prochaines années.

La viabilité des projets concernés n’est pas assurée. On estime qu’un projet sera viable s’il est en mesure de maintenir les loyers au même niveau d’abordabilité, tout en conservant des réserves suffisantes pour réaliser les travaux de rénovation et d’entretien qui seront requis. Les OSBL d’habitation doivent donc s’assurer qu’ils seront en mesure d’exploiter leurs propriétés, de loger les locataires à faible revenu et de conserver leur patrimoine immobilier en état pour les générations futures. La fin des conventions d’exploitation a donc plusieurs répercussions.

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L’hypothèque et les subventions

Avec la fin des conventions se terminent les subventions d’aide au paiement du loyer et des dépenses d’exploitation, en même temps que s’éteint l’hypothèque principale. Les organismes dont les montants reçus en subventions sont supérieurs aux charges hypothécaires vont donc se trouver en déficit. Or, c’est le cas de la quasi-totalité (93%) des organismes dont les projets ont été financés entre les années 1986 et 1993 par le Programme sans but lucratif-privé (PSBL-P). Sur l’ensemble des organismes ayant participé au projet de recherche (tous programmes confondus), un peu plus du tiers (36%) se trouvent dans cette situation.

Leurs revenus autonomes étant insuffisants pour payer l’entièreté de leurs frais d’exploitation, ces organismes pourraient être contraints de revoir la structure de leurs loyers en vertu de laquelle une partie, voire la totalité de leurs locataires paie un loyer ajusté en fonction de leurs revenus. Pour l’instant, aucun programme n’est prévu à Ottawa pour soutenir les locataires dont le loyer est ainsi subventionné. Pour les organismes qui accueillent des populations à faible ou très faible revenu, l’équilibre sera difficile à maintenir.

Ceux qui dégageront des surplus qui permettraient de maintenir les loyers ajustés vont devoir décider s’ils veulent continuer de cette façon. Des conflits pourraient éventuellement apparaître entre les locataires bénéficiant d’une telle aide et ceux qui n’en ont pas. L’échéance de la convention pose donc non seulement un défi financier aux organismes qui vont bientôt entreprendre cette transition, mais aussi un défi pour la vie associative et la gestion des relations interpersonnelles.

 

Les réparations et les travaux de mise à niveau

La capacité de procéder aux rénovations et aux travaux de mise à niveau, inévitables pour des immeubles construits ou acquis il y a 25, 35 et parfois même 50 ans, représente un autre enjeu de viabilité important pour les projets qui arrivent en fin de convention. Dans le meilleur des cas, les organismes auront accès aux réserves qu’ils ont constituées selon les barèmes établis dans leurs conventions respectives – si ces réserves n’ont pas déjà été utilisées autrement. L’évolution des normes de construction et de sécurité des bâtiments exigera inévitablement la réalisation de coûteux travaux de mise à niveau.

À défaut d’un bilan de santé individualisé de chacun des immeubles qui permette d’évaluer l’état du bâtiment et de planifier les travaux requis, il est impossible de dire si les réserves de remplacement immobilières des organismes sont adéquates. Si elles sont insuffisantes, les organismes vont devoir financer les travaux. Or, ceux dont les dépenses d’exploitation sont supérieures aux revenus autonomes n’auront pas de capacité d’emprunt. Là encore, il y a un enjeu de viabilité certain.

 

La gestion de l’immeuble

La fin des conventions annonce également l’arrêt du suivi administratif exercé par les organismes gouvernementaux comme la SCHL et la Société d’habitation du Québec (redditions de compte, obligation de réaliser un bilan de santé de l’immeuble pour certains projets, conseils et mise à disposition de ressources), qui veillent à contrôler la conformité des projets et la bonne gestion des sommes publiques investies. Cela veut dire moins de comptes à rendre et plus de liberté, mais aussi plus de responsabilités pour les organismes concernés.

 

Les outils pour se préparer à la fin des conventions

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Le test de viabilité post-convention

Un outil informatique permet d’évaluer la viabilité d’un organisme en prévision de l’arrivée à échéance de sa convention. Cet outil a été mis en place pour l’Association canadienne d’habitation et de rénovation urbaine (ACHRU) en collaboration avec cinq regroupements provinciaux d’OSBL d’habitation dont le RQOH. Le test est fondé sur deux principaux indicateurs : le revenu net d’exploitation (RNE) et le montant des réserves accumulées disponibles à la fin des conventions. Le RNE révèle la capacité de payer l’ensemble des frais d’exploitation à partir des revenus autonomes de l’organisme. C’est donc la différence entre les revenus totaux de l’organisme, sans subvention, et ses dépenses, sans les frais de financement. Les organismes dont le RNE est positif devraient se révéler viables. Le test permet également d’évaluer la capacité d’emprunt des organismes, une fois la convention expirée.

Disponible sur le site web du RQOH, l’outil est conçu pour pouvoir être utilisé par tous les organismes, peu importe le programme de financement dont ils ont bénéficié. Il s’avère particulièrement pertinent pour les organismes dont les projets relèvent du programme de l’article 56.1 (95) et du PSBL-P. L’outil permet d’évaluer la capacité de l’organisme de maintenir sa structure de loyers (incluant les loyers ajustés au revenu), la suffisance ou l’insuffisance de ses réserves et son éventuelle capacité d’emprunt. On peut en outre l’utiliser pour tester divers scénarios, question d’évaluer l’impact de certains ajustements qui pourraient être apportés d’ici la fin de la convention.

Dans le cadre du projet de recherche réalisé par le RQOH, le test a été appliqué à près de 70 organismes dont les projets arriveront bientôt en fin de convention. Il en ressort qu’une bonne majorité (88 %) des projets financés dans le cadre du programme de l’article 56.1 (ou 95) de la Loi nationale sur l’habitation seront vraisemblablement en mesure de franchir cette étape avec succès. Plusieurs devront cependant porter une attention particulière à la planification de leurs réserves.

Quant aux projets financés avec l’aide du Programme sans but lucratif-privé (PSBL-P), on estime que la quasi-totalité ne sera pas viable. La plupart des projets seront incapables de payer leurs dépenses d’exploitation tout en maintenant les loyers ajustés au revenu des locataires, même si le prêt hypothécaire est alors amorti.

 

Des outils à la disposition des organismes

Afin de soutenir les organismes qui arriveront bientôt ou d’ici quelques années en fin de convention et de tout mettre en œuvre pour assurer la pérennité des projets existants, le RQOH a conçu un outil d’accompagnement, qui inclut notamment le test de viabilité évoqué ci-haut. Cet outil permet aux gestionnaires, administrateurs et administratrices d’évaluer la situation financière et immobilière de leur organisme et leur capacité à gérer cette période de transition. Les organismes pourront ainsi étudier les diverses options qui s’offrent à eux pour faire en sorte que ce passage s’opère avec le moins d’embûches possible. Ceux concernés seront contactés par leur fédération régionale qui leur proposera de les accompagner dans cette démarche, à l’approche de leur fin de convention.

La fin des accords d’exploitation soulève d’importants enjeux de viabilité : celle de la mission sociale des organismes et celle du cadre bâti.Le parc de logement social et communautaire a été développé avec l’aide de fonds publics et avec l’implication des communautés pour répondre à des besoins concrets, afin d’offrir une solution pérenne aux personnes qui ne trouvent pas à se loger convenablement sur le marché privé. Socialement et économiquement, il serait pour le moins contre-productif de laisser tomber les organismes – et leurs locataires ! – une fois la convention échue et de courir le risque que ces acquis se perdent. Le maintien des engagements des divers paliers gouvernementaux impliqués pour assurer l’abordabilité des loyers et la viabilité du cadre bâti une fois la convention échue assurerait que les objectifs initialement poursuivis par les autorités publiques demeurent.