Dans la foulée du rapport du coroner Delâge sur l’incendie de la Résidence du Havre à L’Isle-Verte, le gouvernement a adopté un règlement qui rend obligatoire l’installation de gicleurs dans toutes les RPA d’ici le 2 décembre 2020. Cette mesure, dont personne n’a contesté la pertinence, n’en pose pas moins d’énormes difficultés par les RPA sans but lucratif dont les immeubles ne sont pas déjà équipés de gicleurs.
Globalement, la proportion des RPA sans but lucratif déjà équipées de gicleurs est supérieure à celle des RPA à but lucratif ; cela s’explique par le fait que depuis 2004, les normes du programme AccèsLogis prévoient l’installation de gicleurs dans tous les projets s’adressant à des personnes aînées autonomes ou en légère perte d’autonomie (le « volet II » du programme). Néanmoins, on dénombre actuellement 80 RPA sans but lucratif qui accueils 3106 ainés qui doivent procéder à ces travaux. Ce nombre pourrait par ailleurs augmenter à la suite de l’adoption du prochain règlement sur la certification des RPA, qui selon toute vraisemblance assujettira un nombre indéterminé d’OSBL d’habitation actuellement non «giclés» à la certification, et donc à l’obligation d’installer des gicleurs.
En même temps qu’il adoptait le règlement sur les gicleurs, le gouvernement a annoncé un programme de soutien financier pour aider les exploitants à réaliser les travaux. Administré par le CISSS Chaudière-Appalaches, le programme rembourse une partie des coûts d’installation (entre 20% et 60% des frais, sur papier et selon la taille de la résidence), une fois les travaux complétés. Ce programme est conçu sur mesure pour le modèle des résidences à but lucratif, qui peuvent s’appuyer sur leur avoir propre (ou « équité ») pour financer les travaux et qui réaliseront éventuellement un rendement sur cet investissement. Ce n’est évidemment pas le cas pour les OSBL d’habitation, qui ont pour mission d’offrir de manière pérenne des logements abordables et dont les immeubles ne sont pas destinés à être vendus. Les réserves de remplacement immobilières de ces derniers sont notoirement insuffisantes et en tout état de cause, elles n’ont pas été prévues pour financer ce type de travaux.
Sur les 80 RPA sans but lucratif non giclées ou qui ne le sont que partiellement, on en compte 59 qui sont de petite taille, soit 30 unités locatives ou moins ; les coûts d’installation par unité y sont nettement plus élevés, puisqu’amortis sur un plus petit nombre. Selon les évaluations faites par une firme spécialisée dont le RQOH a retenu l’expertise, on parle ici d’un coût variant entre 5 000$ et 6 000$ par unité, alors que le pro- gramme d’aide financière alloue une somme ne dépassant pas 1 980$. C’est ce qui explique en bonne partie l’ampleur du manque à gagner.
En outre, la majorité d’entre elles sont situées dans de petites municipalités en milieu rural; certaines ne sont pas raccordées au système d’aqueduc et sont alimentées en eau par un puits artésien. L’installation de gicleurs exige alors la construction d’un bassin d’alimentation en eau autonome – une dépense se chiffrant facilement à plus de 150 000$ (couverte en partie par le programme d’aide financière).
« 369.1. Un bâtiment abritant une résidence privée pour aînés, construit ou transformé selon une norme applicable antérieure au CNB 2010 mod. Québec, doit être entièrement protégé par un système de gicleurs […]
369.2. Le système de gicleurs exigé à l’article 369.1 doit être conforme aux exigences de la section 3.2.5. du CNB 2005 mod. Québec, mais doit être conçu, construit, installé et mis à l’essai conformément à la norme NFPA-13. »
Aucune distinction n’est prévue dans le programme de subvention entre les résidences privées à but lucratif et les OSBL. Pourtant, nos différences nous placent dans une situation d’inégalité face aux principaux défis qu’apporte cette nouvelle règlementation.
Le seul critère pris en considération pour déterminer la hauteur de la subvention qui sera consentie (20, 40 ou 60 % des coûts d’installation) est celui de la taille de la résidence, calculée en nombre d’unités de logement. Il s’agit certes d’un critère important, la capacité de financement n’étant pas la même pour une petite ou une grosse résidence. Mais ça ne devrait pas être le seul.
Tout comme il y a d’importantes différences entre les organismes sans but lucratif et les résidences à caractère privé, il y a aussi de grandes différences entre les milieux rural et urbain. En effet, certaines contraintes techniques peuvent s’appliquer en milieu rural, qui feront augmenter le coût de l’installation.
L’installation oui, mais après?
La subvention ne tient compte que des coûts d’installation. Or, la mise en place d’un système de gicleurs entraîne également des coûts et du travail d’entretien complémentaire.
Les inspections des systèmes de gicleurs selon la norme NFPA-25, qui est exigée dans la norme NFPA-13, sont complexes et peuvent être nombreuses. Il existe une longue liste d’inspections qui doivent être réalisées par des professionnels, au trimestre, bi annuellement, annuellement ou aux cinq ans. D’autres inspections complémentaires, directement effectuées par le propriétaire, sont aussi demandées.
En plus des coûts directs de ces inspections, cela complexifie la tâche des gestionnaires d’OSBL qui doivent tenir compte de ces inspections dans leur planification, tout en ayant à leur disposition des ressources humaines très limitées.
Les gicleurs, une plus-value pour le bâtiment ?
Certes, il est vrai qu’à terme, l’installation de gicleurs dans une résidence pourrait apporter une valeur ajoutée au bâtiment. Malheureusement, cela n’a aucun impact pour les OSBL, qui n’ont pas vocation à revendre leurs actifs et à réaliser des profits.
Les coûts d’installation, élevés et inégaux
Selon le programme, l’organisme doit avancer les sommes et réaliser les travaux avant d’être remboursé en partie. Ce qui suppose une difficile recherche de financement pour obtenir les liquidités qui permettront de réaliser les travaux, ce que plusieurs OSBL pourraient ne pas être en mesure d’obtenir.
Selon les projets, c’est un minimum de 40 % des coûts d’installation qui reste à la charge de l’organisme. La majorité des RPA exploitées par des OSBL sont de petites structures, en comparaison des grandes résidences privées à but lucratif ; et plus l’organisme est petit, plus l’impact financier est lourd à supporter.
De plus, les coûts d’installation explosent dans les petites municipalités rurales, où les réseaux d’aqueducs sont inexistants ou alors de débits insuffisants pour la norme NFPA-13. Cela impose un double fardeau aux résidences de type communautaire, qui sont souvent beaucoup plus petites dans ces secteurs qu’en milieu urbain; leurs ressources et moyens de financement sont aussi plus limités. Est-ce qu’une petite résidence en milieu rural ou semi-rural devrait payer plus cher, sur ses propres fonds, l’installation de gicleurs, qu’une grosse résidence en ville simplement parce que la municipalité ne dispose pas d’un réseau d’aqueducs adéquat ?
Il est important de noter que les municipalités plus petites n’ont pas non plus les ressources financières des grandes villes pour venir en aide aux résidences sans but lucratif de leur territoire. Contrairement à Montréal, qui a pu mettre en place son propre programme de subvention, très peu de municipalités de plus petite taille seront en mesure de faire de même.
Type de municipalité | Nombre de logements | Coût minimum potentiel après subvention | Besoins en financement | Coût minimum potentiel après subvention/logement |
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1. Municipalité urbaine de 2 200 habitants | 42 logements partiellement giclés | 102 000 $ ou 2 450 $ par logement | 61 000 $ | 1 452 $ |
2. Municipalité rurale de 2 500 habitants | 20 logements non giclés | 90 000 $ ou 4 450 $ par logement (105 000 $ en cas de nouveau raccordement) | 36 000 $ ou 53 000 $ en fonction des conditions de remboursement./td> | 1 800 $ ou 2 650 $ |
3. Ville de Montréal (subvention de la ville + province) | 43 logements non giclés | 90 000 $ ou 118 000 $ (2 100 $ ou 2 800 $ par logement) | 14 000 $ ou 22 500 $ à la charge de l’organisme | 330 $ ou 523 $ |
4. Municipalité rurale de 700 habitants | 12 logements non giclés | 92 000 $ ou 7 600 $ par logement | 37 000 $ ou 47 000 $ en fonction des conditions de remboursement | 3 085 $ ou 3 917 $ |
Le coroner Delâge l’a lui-même écrit dans son rapport : dans certains cas, les gicleurs ne parviennent qu’à retarder la progression d’un feu, pas à l’éteindre. Les systèmes de gicleurs permettent avant tout de préserver l’intégrité du bâtiment et facilitent l’intervention des pompiers, mais ils ne garantissent pas de façon systématique une meilleure sécurité des personnes.
Les OSBL d’habitation sont des précurseurs en matière de sécurité, particulièrement pour les aînés. En effet, les ressources souvent limitées des organismes les poussent à faire preuve de créativité; c’est ainsi que tout un ensemble de mesures de sécurité communautaire ont été créées, mises en place et éprouvées dans nos organismes. Pour ce qui est spécifiquement des incendies, dans les OSBL s’est développée une panoplie de mécanismes internes pour faciliter l’évacuation et on y tisse aussi des liens avec la communauté pour épauler les sinistrés en cas de drames.
Si des aînés se trouvaient contraints de quitter leur logement à cause des hausses de loyer qui résultent de cette installation, c’est plus qu’un logement avec gicleurs qu’ils perdraient. Mais bien un espace sécuritaire et sain grâce à un réel accompagnement communautaire qui prend en compte et s’adapte aux besoins de chacun.
Depuis 2004, les OSBL d’habitation pour aînés construits dans le cadre du programme AccèsLogis sont tous munis de gicleurs. Les coûts d’installation sont prévus et financés par le programme. Les résidences ainsi construites ont donc vu l’installation de leurs gicleurs financée par la Société d’habitation du Québec. Pourquoi les locataires des résidences communautaires construites avant cette date devraient-ils supporter le coût de l’installation des gicleurs ?
D’autres différences entre les programmes font que certaines résidences verront l’impact financier de l’installation obligatoire de gicleurs réduit. Par exemple, les résidences construites avec le programme PSBL-P « à déficit d’exploitation », verront leurs déficits comblés par la SHQ en fin d’année financière. L’impact sur les locataires sera donc heureusement minime.
Il nous semble important que tous les locataires soient logés à la même enseigne : ceux vivant dans des bâtiments récents (depuis 2004), ceux vivant dans des résidences subventionnées au déficit d’exploitation et tous les autres.