10 mai 2017
Si vous administrez ou gérez un OSBL d’habitation, peut-être remarquez-vous que parmi vos locataires, il y a une proportion significative de femmes ? Vous n’êtes pas les seuls : un grand nombre d’organismes, surtout pour personnes ainées, le constate. Le logement communautaire permet aux ménages les plus vulnérables de se loger décemment, et ce n’est pas un hasard si les femmes y sont majoritaires. Les inégalités entre les femmes et les hommes persistent au Québec, et malgré le chemin parcouru, il reste encore beaucoup à faire, et ce, dans tous les secteurs de la société. Les OSBL d’habitation y contribuent en offrant des logements abordables et un milieu de vie sécurisant, mais il y a toujours de la place pour l’amélioration.
Pourquoi tant de femmes, surtout aînées, habitent-elles en OSBL d’habitation ? En partant, le portefeuille des Québécoises est, en moyenne, moins garni que celui des Québécois. « Elles sont plus nombreuses à occuper des emplois précaires, lesquels sont moins syndiqués que ceux des hommes, et à avoir interrompu leur carrière pour s’occuper des enfants ou des personnes aînées, rappelle Valérie Gilker Létourneau, co-coordonnatrice de L’R, le regroupement des centres de femmes du Québec. De plus, en vieillissant, elles sont plus susceptibles de vivre en situation de pauvreté puisqu’elles ont accès à moins de revenu de retraite. » Quant aux familles monoparentales, qui sont particulièrement touchées par la précarité, rappelons que les trois quart d’entre elles sont supportées par une femme.
Si 63% des locataires en OSBL d’habitation sont femmes, la proportion s’élève à 72% dans les OSBL pour personnes aînées. Alors que ces dernières souhaitent en général vieillir chez elles, les femmes aînées ont de plus grandes difficultés à rester à la maison, ce qui explique en partie leur présence majoritaire dans les résidences pour personnes âgées, communautaires ou à but lucratif. « Selon des données de 2006 de Statistique Canada, 54 % des aînées consacrent plus du tiers de leur revenu au loyer, alors que seuls 31 % des hommes âgés sont dans la même situation, précise Marie-Hélène Verville de la Gazette des femmes. Elles vieillissent aussi deux fois plus souvent en solitaire que les hommes, et vivent plus longtemps. »
Loin de corriger ces inégalités, l’adoption de politiques d’austérité affectent davantage les femmes, d’après une étude de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS). « Les politiques d’austérité au Québec ont surtout été avantageuses pour les secteurs de la construction et des ressources naturelles, où les emplois sont généralement occupés par des hommes, explique Céline Magontier, responsable du comité femmes au FRAPRU. En revanche, elles pénalisent les emplois publics, majoritairement féminins. » Les femmes sont aussi davantage touchées par l’augmentation des taxes et des tarifs, en tant qu’utilisatrices principales des services et des programmes sociaux. De plus, la diminution du financement des services publics, comme les services de garde, entraîne une augmentation du travail à accomplir à la maison, travail souvent dévolu aux femmes encore aujourd’hui malgré l’amélioration des dernières années, qui doivent ainsi mettre les bouchées doubles.
Les femmes autochtones et immigrantes se heurtent à des obstacles plus importants encore, notamment pour obtenir un logement décent. « Par téléphone, j’ai pu avoir un rendez-vous pour visiter un logement, raconte une femme Autochtone résidant depuis peu à Montréal. Au moment où je suis arrivée sur les lieux, les propriétaires ont réalisé qui j’étais, et là ils m’ont dit que l’appartement était loué. » Le lendemain, elle rappelle sous un autre nom, et se fait dire que le logement est toujours disponible. « Lorsque je leur ai révélé mon identité, je leur ai demandé pourquoi ils me refusaient cet appartement. Ils ont répondu que je ne remplissais pas les « critères ». »
Cette discrimination raciale, qui touche aussi bien les Autochtones que les personnes immigrées, illustre bien pourquoi les femmes immigrantes paient en moyenne plus cher (11% en moyenne en 2011) pour se loger que les femmes non immigrantes. Le taux de chômage est presque quatre fois plus élevé chez les immigrantes récentes (cinq ans et moins) que chez les femmes nées au Québec. Les femmes immigrantes subissent une double discrimination, pour trouver un logement mais aussi du travail, en tant qu’immigrantes ET en tant que femmes. Il n’est pas rare que des immigrées hautement qualifiées se retrouvent à occuper des emplois à faibles salaires et aux conditions de travail difficiles.
Des inégalités présentes aussi en OSBL d’habitation
En OSBL d’habitation, l’enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes se pose à différents niveaux, par exemple dans les tâches prises en charge dans la vie associative. Environ autant d’hommes que de femmes siègent sur les conseils d’administration des OSBL d’habitation du Québec. Cependant, une proportion plus importante d’hommes occupe les postes exécutifs, surtout ceux de président et de vice-président, tandis que les femmes, quand elles sont sur l’exécutif, sont très présentes en tant que secrétaires et trésorières. Dans les OSBL d’habitation, qui portent une mission d’entraide et de solidarité, il y a là une participation des femmes à encourager.
N’oublions pas, en outre, qu’il peut être plus difficile pour les femmes de s’impliquer bénévolement dans les organismes, du fait du temps consacré aux tâches domestiques et familiale, plus étendu en moyenne que le temps consacré par les hommes aux mêmes tâches. Les inégalités sont d’autant plus marquées dans les familles : « Le stress dû à la pression du temps est plus grand chez les mères que chez les pères » indique le Secrétariat à la condition féminine.
Si l’on s’intéresse aux 6500 personnes employées par les OSBL d’habitation, il n’est pas anodin de constater qu’une majorité des postes de direction, de coordination ou de conciergerie sont occupées par des hommes. Cela pourrait expliquer pourquoi, en moyenne dans les OSBL d’habitation, les femmes bénéficient d’un taux de salaire horaire bien moindre que celui des hommes, et ce, à temps plein ou à temps partiel.
Ce qui est observable dans le secteur du logement communautaire n’est pas déconnecté du reste de la société : sur le marché du travail en général, les postes d’administration et de secrétariat, contrairement aux postes de direction, sont occupées en majorité par des femmes. Les choses ont évolué depuis trente ans bien sûr. Pourtant, une recherche récente a démontré que dès l’âge de six ans, les petites filles se trouvent moins brillantes que les garçons, ce qui va orienter leur choix d’étude et, par conséquent, de carrière.
Briser le silence : une nécessité
Au sein des OSBL d’habitation, démontrer que l’on prendra les confidences d’une victime de violence ou de harcèlement sexuel avec sérieux et respect permet de briser la loi du silence. Des centres de femmes ont révélé que ces dernières subissent des violences sexuelles jusque chez elles, et même dans des OSBL d’habitation. Mais souvent, elles ne vont en parler à personne, parce qu’elles se sentent coupables et honteuses, ont peur des représailles, ou ne croient pas dans le système de justice.
« Il est très important, lorsqu’on reçoit une telle confidence, de ne pas porter de jugement sur la survivante et de remettre la responsabilité à l’agresseur, explique Julie Leblanc du CEAF à Montréal, le centre de femme qui a lancé la campagne contre les violences dans le logement. Les survivantes se sentent souvent responsables de ce qui est arrivé, or il faut rappeler qu’il n’y a qu’un seul coupable : l’agresseur. De plus, il est normal, suite au choc de l’agression, qu’elles soient confuses et vagues concernant les faits, c’est un mécanisme de protection. »
Si vous êtes témoin ou la cible d’une situation de violence ou de harcèlement, il existe des ressources pour obtenir du soutien ou des conseils. Depuis 2015, une ligne-ressource sans frais destinée aux victimes d’agression sexuelle de tout âges, ainsi qu’à leurs proches et aux intervenants concernés, est offerte : 1 888 933-9007. Les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) proposent un accompagnement dans toutes les démarches, et ce, dans toutes les régions du Québec sans exception. Aussi, les maisons d’hébergement offrent des services gratuits d’écoute téléphonique et d’accompagnement, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il n’est pas nécessaire d’être hébergée pour bénéficier de ces services.
« Aucune femme n’est à l’abri des violences et du harcèlement sexuel, peu importe le milieu dans lequel elle évolue, son revenu ou l’éducation qu’elle a reçue, affirme Mme Leblanc. Mais les agresseurs vont souvent cibler les femmes isolées et précarisées, qui auront plus de difficultés à s’en sortir. » Rappelons que les femmes sont en moyenne plus à risque que les hommes d’être violentées par une personne qu’elles connaissent, comme un voisin, un ami, un collègue, un membre de la famille, un compagnon, un ex, etc. Sans oublier que les victimes de harcèlement, d’agression sexuelle, ou encore de violence conjugale, sont en majorité des femmes.
Un comité « Femmes en OSBL d’habitation » au RQOH
Pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes dans le milieu communautaire, un comité de travail « Femmes en OSBL d’habitation » a été mis en place par le RQOH et ses fédérations. Ce comité a pour objectif de documenter les besoins des femmes locataires ainsi que la situation des employées et bénévoles, mais aussi trouver des pistes de solutions pour prévenir les violences envers les femmes vivant en logement communautaire.
Un guide sera bientôt publié et diffusé, qui rassemblera des informations et des références, ainsi que les expériences et pratiques développés par les OSBL d’habitation en matière de prévention contre le harcèlement et les violences sexuelles.
Contactez votre fédération si vous souhaitez participer au comité Femmes en OSBL d’habitation !