8 février 2022

Claude Sirois au service de la communauté

Homme polyvalent, à la fois gestionnaire et intervenant en soutien communautaire, Claude Sirois est le pilier du Programme d’accessibilité logement Rive-Sud-ouest, mieux connu sous le nom de PAL, un organisme de Saint-Constant en Montérégie qui dessert des personnes autonomes ayant un handicap physique. Le RQOH est allé à la rencontre de ce gestionnaire attentionné, autrefois travailleur de rue, qui place le soutien communautaire au cœur de son engagement.

Le PAL a été fondé il y a près de 30 ans par des personnes, dont certaines avaient un handicap, qui avaient la préoccupation de construire des logements dédiés aux personnes handicapées. « C’était une autre époque », dit Claude Sirois. En ce temps-là en effet, les ensembles de logements pour personnes handicapées n’avaient pas la sophistication qu’on est en droit de s’attendre aujourd’hui.  « Ils ont fait ce qu’ils pouvaient avec ce qu’ils avaient, donc ils ont mis un ascenseur, les logements sont adaptés “en partie”. » En termes d’infrastructures, on pourrait parler davantage d’un bâtiment et des étages accessibles à des personnes autonomes à mobilité réduite que des environnements universellement accessibles conçus dès les premières étapes du plan d’architecture. Au fil des ans, des améliorations ont été apportées : comptoirs plus bas, salles de bain aménagées, etc.

Question d’accessibilité

« Le PAL donne un coup de main à des gens qui autrement seraient mal pris, dont certains qui, dans leur ancien logement, ne pouvaient même pas sortir ! Nous nous adressons à des personnes handicapées ou qui peuvent le devenir par la progression d’une maladie chronique dégénérative, par exemple, qui va possiblement amener la personne à un handicap. Parfois, il peut y avoir des rémissions, et c’est tant mieux. On ne met pas les locataires dehors pour autant ! »

Au début du projet, seuls quelques locataires étaient impliqués dans le conseil d’administration, majoritairement constitué d’intervenants du milieu, des services sociaux ou des groupes communautaires qui « s’occupaient » des locataires. « En cours de route, explique Claude Sirois, il s’est développé de l’autonomie. Aujourd’hui, le conseil d’administration est composé pour au moins la moitié de locataires de l’immeuble. Ils sont impliqués, ils voient à leurs affaires. » La convention d’exploitation arrivant à échéance dans moins de cinq ans, des locataires se sont mis à préparer l’après-convention : « Nous nous sommes mis à rêver d’une suite, une phase II peut-être, un autre bloc complètement adapté… Ça peut prendre une dizaine d’années pour développer un projet comme ça. »

D’un point de vue financier, la capacité de se payer un logement accessible est chose bien complexe. La personne handicapée peut se retrouver entre deux eaux. Elle peut avoir un revenu supérieur au plafond de revenu déterminant les besoins impérieux (norme de la SHQ) et n’est donc pas admissible. Ses revenus de toutes provenances l’empêchent alors de pouvoir s’inscrire pour un logement au PAL. « Ici tous les locataires sont subventionnés. Tu ne peux pas avoir un logement non subventionné quand tu arrives. Les gens non admissibles, eux, sont obligés de se débrouiller dans le marché privé et là ça coûte cher d’avoir un logement adapté. Un père, une mère qui travaille, qui en arrachent au boute, et qui ont un enfant handicapé et qui font un revenu supérieur à 38 000$, c’est trop pour une subvention, mais ce n’est pas assez pour se payer un logement adapté décent. Ça coûte très cher de trouver un logement adapté, et surtout c’est rare. »

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Perte d’autonomie

« Ici, les locataires sont autonomes, sont capables de faire leur transfert seul, ce n’est ni un centre de soins ni une résidence avec des services d’aide à la personne. Les gens sont capables de se débrouiller, mais quand on voit que la situation est problématique pour un locataire on fait des demandes et des démarches. Comme c’est souvent le cas dans les projets OSBL (voir l’article « Vieillir chez soi dans la dignité », qui fait le portrait du Carrefour Rosemont à Montréal), le PAL se fend en quatre pour garder les locataires chez eux le plus longtemps possible, le plus souvent en trouvant le soutien nécessaire chez les ressources communautaires ou institutionnelles des alentours. « C’est là qu’on fait affaire avec les services sociaux, la plupart des personnes handicapées ou accidentées ont déjà des liens avec ces ressources. S’il n’y en a pas, on va en créer, on va appeler le CLSC et demander du renfort et de l’aide pour la personne, obtenir une évaluation et voir ce que l’ergothérapeute ou un autre spécialiste peut conseiller. »

Le problème, au Québec, c’est que le continuum des ressources est bien mal garni, entre la ressource communautaire pour personne autonome et le centre hospitalier de soins de longue durée, les options sont rares. « Une personne handicapée qui se retrouve en CHSLD à 40, 50 ou 60 ans, c’est le drame permanent ! Pour des décennies, la personne est “condamnée” à côtoyer des voisins, le plus souvent des personnes âgées, qui sont en fin de vie. On est confronté à la mort tout le temps. On s’attache et on voit nos amis disparaître. Ce n’est pas un milieu idéal, ça serait bien qu’on fasse des milieux de vie pour des personnes lourdement handicapées où elles pourraient rester vingt-cinq ou trente ans… »

Vie de groupe

« J’ai été intervenant communautaire pendant la majeure partie de ma vie, raconte Claude Sirois. Au PAL, j’occupe le poste de gestionnaire-conseil, mais aussi une partie de ma tâche est le soutien communautaire. » Comment se passe la cohabitation, lui demande-t-on ? « Ce n’est pas parce que tu demeures dans un bloc où il y a des logements subventionnés que ta vie appartient à l’organisme. Tu es chez toi, dans ton appartement, tu as le droit à ton intimité, à ta vie privée. Maintenant, tu dois collaborer à la beauté de la communauté, il faut que cet organisme puisse vivre, c’est sûr que ça prend une participation active à la vie du groupe, c’est-à-dire assister à l’assemblée générale annuelle, participer dans différents comités ou du moins être aux activités que l’organisme organise. La plupart des locataires le font, d’autres s’impliquent peu, restent chez eux, ils ont le droit, c’est correct. »

Plusieurs locataires voient le bénéfice de participer aux activités du groupe : construire un jardin communautaire permet des échanges à l’extérieur, de vivre ensemble, de s’échanger des conseils et des légumes, de parler de la pluie et du beau temps et de pleins d’autre chose. « Quand tu crées des liens entre les locataires, c’est un peu notre objectif comme intervenant en soutien communautaire, c’est plus facile de désamorcer les conflits entre locataires. »

Le soutien communautaire en logement social, une définition vivante

Claude Sirois cite textuellement le Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social: « “Le soutien communautaire couvre un ensemble d’actions qui peuvent aller de l’accueil, à la référence, en passant par l’accompagnement auprès des services publics, la gestion des conflits entre locataires, l’intervention en situation de crise, l’intervention psychosociale, le support au comité de locataires et aux autres comités de l’organisme communautaire. La notion de support communautaire désigne ce qui relève de l’accompagnement social des individus et des groupes incluant la gestion du bail.” C’est la définition officielle. »

Au PAL, concrètement, ce que cela veut dire, c’est aider à tisser des liens de solidarité et d’entraide entre les locataires. « Permettre aux gens de trouver les ressources nécessaires et d’organiser leur vie pour être fonctionnels dans leur appartement et dans leur vie aussi. Il y a bien un service d’autobus pour handicapés, mais il n’est pas toujours disponible et parfois les délais sont longs. Un locataire est en fauteuil roulant et a son véhicule, si moi aussi j’ai besoin d’aller à telle place, je peux lui demander parce que j’ai un lien avec lui. »

« L’aide à la vie collective ou associative, c’est permettre aux gens qui habitent le bloc d’avoir une vie sociale, de s’organiser. C’est une grosse tâche d’administrer l’immeuble, de gérer l’ensemble des règlements, c’est une responsabilité légale et civile importante, mais il y a plus que ça dans la vie de groupe. »

Claude Sirois

« L’aide à la vie collective ou associative, c’est permettre aux gens qui habitent le bloc d’avoir une vie sociale, de s’organiser. C’est une grosse tâche d’administrer l’immeuble, de gérer l’ensemble des règlements, c’est une responsabilité légale et civile importante, mais il y a plus que ça dans la vie de groupe. » Le comité de loisir, ou comité social qui organise les fêtes, créé un pôle d’attraction qui est intéressant et une vie active, des sorties, des projections de films qui donnent souvent lieu à de belles discussions critiques.

Une passion

« Quand tu rentres dans un milieu de vie, quel qu’il soit, c‘est toujours délicat et compliqué. Une partie de ton travail, c’est l’observation, il faut que tu saches dans quoi tu baignes. Il y a des conflits, des chicanes, des territoires, des cliques, de grandes amitiés et des complicités, il y a un peu tout ça dans un bloc-appartements. Que ce soit un huit logements ou un 46 logements, c’est la réalité, il y a une vie qui est là qui est active et qui est présente. Souvent, ce n’est pas nécessairement le bon côté des choses que l’on voit de prime abord. Le locataire que tu trouves fatiguant parce qu’il laisse trainer ses poubelles dans le corridor, l’autre parce qu’il fait du bruit, parce que ci, parce que ça… Quand on arrive là, il faut créer des liens, il faut permettre à ces gens-là d’échanger entre eux. Comment on fait ça ? On brise la glace. On fait ça comment ? Des activités ludiques, comme jouer aux cartes, jouer aux dés. Je me souviens d’une excellente soirée où on a tellement ri, on était six ou sept autour de la table à jouer aux cartes et à rire. Ça a créé des liens forts, et après ça les gens ont une perception différente des autres. Après, les locataires entre eux se réunissent sans que je sois là, ils s’assoient ensemble, font des casse-têtes et échangent. Ça brise l’isolement. »

Propos recueillis par
Claude Rioux
Responsable des communications
RQOH

Le RQOH tient à remercier la FROHME, et en particulier Marc-Olivier Cholette qui nous a offert l’accès au balado « Nos voix pour un toit » (frohme.rqoh.com/baladodiffusion).