9 septembre 2017
Tout indique que la stratégie canadienne en matière de logement, dont les grandes lignes seront connues à la fin de l’automne, aura comme objectif explicite d’assurer le droit de tous les Canadiens à un logement sécuritaire, adéquat et abordable. L’élaboration et la mise en place de cette stratégie représentent ainsi une occasion unique de concrétiser et renforcer les engagements que le Canada a déjà pris en ratifiant les traités internationaux qui reconnaissent le droit au logement.
Rappelons que le droit à un logement convenable est notamment reconnu comme faisant partie intégrante du droit à un niveau de vie suffisant inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) précise quant à lui que le logement fait partie du « droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille », au même titre que la nourriture et un vêtement.
Les mesures, programmes et investissements qui découleront de la stratégie devraient permettre de faire progresser en pratique le droit au logement pour le plus grand nombre, dans la mesure où ils seront soigneusement conçus pour atteindre cet objectif. Cela dit, une reconnaissance plus formelle et explicite du droit au logement ferait preuve de l’engagement à plus long terme du gouvernement du Canada et contribuerait de façon notable à assurer la pérennité des orientations ayant présidé à l’élaboration de la stratégie.
Les avantages d’une telle reconnaissance :
Quel droit au logement?
Par droit au logement, le droit international entend une conception englobante plutôt qu’étroite, qui tient compte du rôle pivot du logement dans la capacité des personnes d’exercer pleinement l’ensemble de leurs droits fondamentaux. Ainsi, il ne s’agit pas simplement de reconnaître le droit à un abri ou à la non-discrimination dans l’accès au logement; le droit au logement inclut également les notions de pérennité, de stabilité, de qualité du tissu social, d’accès aux services et aux opportunités d’emploi, etc. Pour citer le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, il s’agit du « droit à un lieu où l’on puisse vivre en sécurité, dans la paix et la dignité ».
Dans la rédaction d’un éventuel texte consacrant le droit de tous les Canadiens à un logement adéquat, sécuritaire, accessible et abordable, le législateur peut s’inspirer des observations du comité, qui identifient sept critères à prendre en considération pour déterminer si telle ou telle forme d’habitation peut être considérée comme « suffisante » pour conclure à la réalisation effective du droit au logement :
Pour qu’elle produise des effets concrets à court, moyen et long termes, la consécration du droit au logement devrait être accompagnée de normes et d’objectifs mesurables. De tels objectifs feront sans doute partie de la stratégie nationale qui sera bientôt dévoilée; pour renforcer ses intentions, le texte législatif pourrait enjoindre le gouvernement à adopter des cibles précises et à faire rapport régulièrement des résultats atteints. Ainsi, la reconnaissance du droit au logement permettra de porter, de façon continue, un regard critique sur la législation et les politiques publiques, à la lumière des critères évoqués plus haut.
Quel instrument utiliser?
Bien qu’il s’agisse indéniablement du meilleur instrument à utiliser pour consacrer le droit au logement en droit canadien, il serait de toute évidence vain et contre-productif dans le contexte actuel de vouloir passer par une modification de la Charte canadienne des droits et libertés. D’aucuns prétendent que le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne » reconnu à son article 7 inclut déjà implicitement le droit à un logement suffisant; cette interprétation, partagée par d’éminents juristes, n’a toutefois pas encore été retenue par les tribunaux. Qu’elle tienne la route ou pas, il n’en reste pas moins pertinent d’assurer une reconnaissance explicite du droit au logement.
À défaut d’une modification à la Charte canadienne, il existe deux voies possibles que le législateur pourrait emprunter pour consacrer cette reconnaissance :
Sanctionnée en 1960, la Déclaration canadienne des droits s’applique aux lois du Canada, à l’administration fédérale et aux tribunaux. N’ayant eu qu’un impact très limité au lendemain de son adoption, la Déclaration est plus ou moins tombée dans l’oubli depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne. Des propositions ont néanmoins été faites au cours des dernières années pour que le droit au logement soit ajouté parmi la courte liste des droits et libertés qui y sont énumérés.
L’intérêt de cet instrument est qu’il prévoit un mécanisme formel d’examen des projets de loi et des règlements pour s’assurer qu’aucune disposition n’est incompatible avec les fins et dispositions de la Déclaration. En outre, toute loi du Canada doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre les droits et libertés qui y sont reconnus.
Bien que cette voie ne soit pas nécessairement à écarter, compte tenu de l’impact marginal qu’elle a eu devant les tribunaux, du peu de prise qu’elle offre aux citoyens pour obtenir une réparation et du fait qu’on ne pourrait y inclure des objectifs mesurables liant le gouvernement, nous ne privilégions pas l’adoption d’une modification à la Déclaration canadienne des droits.
Bien que n’ayant pas un caractère constitutionnel ou « quasi constitutionnel », l’adoption d’une loi particulière visant à reconnaître le droit au logement donnerait un signal fort de la volonté du gouvernement et du législateur. Elle pourrait contenir un énoncé général reconnaissant explicitement le droit de tous les Canadiens à un logement adéquat, sécuritaire, accessible et abordable; en outre, cet énoncé pourrait préciser que ce droit fait partie intégrante du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne enchâssé à l’article 7 de la Charte canadienne. Un tel engagement lierait moralement le gouvernement et l’administration publique et pourrait éventuellement servir à des fins d’interprétation des lois, règlements et politiques administratives.
Pour favoriser une interprétation la plus cohérente possible de l’intention du législateur, la loi devrait aussi inclure une définition de ce qu’on entend par un logement adéquat, sécuritaire, accessible et abordable, en s’inspirant des critères proposés par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU.
Enfin, pour s’assurer qu’elle produise les effets souhaités, la loi devrait prévoir l’obligation pour le gouvernement d’adopter et maintenir une stratégie nationale en matière de logement incluant des cibles et prévoyant des mécanismes de reddition de compte périodiques faisant état des résultats obtenus et de l’impact des programmes et politiques mis en place dans le cadre de cette stratégie. Un mécanisme d’examen des projets de loi et règlements similaire à celui inclus dans la Déclaration canadienne des droits pourrait aussi y être inclus.
En lieu et place d’une loi distincte, on peut aussi envisager que des dispositions similaires soient intégrées à la Loi nationale sur l’habitation (LNH), dont l’objet (l’actuel article 3) pourrait être redéfini pour y inclure la même reconnaissance formelle, le tout avec des résultats semblables. Toutefois, même si les effets de l’utilisation de la LNH seraient vraisemblablement les mêmes, nous sommes d’avis que l’adoption d’une loi distincte aurait un impact plus fort, politiquement et socialement.
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L’élaboration et la mise en place de la nouvelle stratégie nationale sur le logement, dont les objectifs déclarés sont ambitieux et s’inscrivent déjà dans le cadre des engagements pris par le Canada, constitue un moment propice pour réaliser une véritable avancée et concrétiser ces engagements; la reconnaissance formelle du droit au logement en constituerait dès lors la pierre angulaire.
Nos précédents articles sur le droit au logement :
Le droit au logement au coeur de la lutte à la pauvreté
Le logement : le droit de tous les droits
une entrevue avec Lucie Lamarche, professeure à l’UQAM
Le logement est-il un droit ?
une entrevue avec Renée Dupuis, sénatrice