Les femmes en situation d’itinérance vont tout faire pour éviter la brutalité de la rue, mais lorsqu’elles ont épuisé toutes leurs ressources et qu’elles cognent à la porte des organismes d’hébergement, elles se heurtent au phénomène des portes tournantes. Après avoir passé quelques jours ou quelques semaines dans un refuge ou une maison d’hébergement, qui offrent un toit pour un temps limité, elles vont frapper à la porte d’une autre ressource, puis vont revenir à l’hébergement de départ, et ainsi de suite. Comment expliquer ce phénomène ? Les raisons de cette instabilité sont multiples.

Il est évident que le manque de logements sociaux et communautaires, qu’ils soient temporaires ou permanents, en fait partie, avec les listes d’attente qui en résultent. Depuis des années, les groupes de défense du droit au logement et des droits des femmes sonnent l’alarme quant à l’augmentation et à la complexification de l’itinérance au féminin. Le manque de ressources en hébergement d’urgence et de logements permanents réservés aux femmes est aussi un facteur déterminant. « Certaines femmes vont craindre de se rendre dans une ressource mixte, explique Danielle Trussler, directrice du Réseau Habitation Femmes, un OSBL qui offre des logements permanents à Montréal. La rue est un milieu où les femmes sont particulièrement exposées à la violence, dont les agressions sexuelles. Elles ne souhaitent pas vivre la même dynamique dans leur nouveau lieu de vie, ou croiser un agresseur passé. »

En 2014-2015, plus de 10 000 femmes ont été refusées dans les maisons d’hébergement pour femmes vivant de multiples problématiques, faute de place. En raison de ce débordement, celles qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie peuvent se retrouver en maison pour femmes victimes de violence conjugale, alors que leurs besoins ne correspondent pas à la mission de ces maisons. Par conséquent, elles doivent partir vers une autre ressource jugée plus adaptée, mais après avoir épuisé leurs options d’hébergement dans cette dernière, elles vont revenir à leur point de départ pour recommencer ce manège inadmissible dans une société riche comme la nôtre. Il existe néanmoins des outils pour contrer ce phénomène des portes tournantes.

Financer les approches qui fonctionnent

« Le soutien communautaire en logement social doit cesser d’être envisagé comme temporaire par le gouvernement, car il s’agit d’une condition pour la stabilité résidentielle des femmes en situation d’itinérance » a déclaré au mois de mars Cathy Wong, membre du Conseil des Montréalaises, lors de la publication d’un avis qui souligne la diversité et l’invisibilité de l’itinérance au féminin.

D’autres études et concertations d’organismes qui travaillent depuis des décennies auprès de ces femmes viennent appuyer ce constat, comme la Déclaration sur l’itinérance des femmes ratifiée par le RQOH. En juin, la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal (FOHM) a lancé, avec le Réseau d’aide pour les personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), la campagne « Quatre murs ce n’est pas assez ! », qui réclame l’investissement de 7 millions $ pour le soutien communautaire en logement social à Montréal.

Cette pratique, mise en place dans la majorité des OSBL d’habitation à la grandeur du Québec, englobe un ensemble d’actions allant de l’accueil à la référence, en passant par l’accompagnement auprès de services publics, la gestion des conflits entre locataires, l’intervention en situation de crise, l’intervention psychosociale, le support au comité de locataires et aux autres comités et l’organisation communautaire. En matière de stabilité résidentielle, elle n’a plus à faire ses preuves.

Pour les femmes à risque d’itinérance, le soutien communautaire en logement social est plus qu’essentiel. « Le facteur violence est déterminant pour les femmes qui ont connu la rue, explique Geneviève Labelle, intervenante en soutien communautaire à la FOHM. La violence est genrée, c’est-à-dire qu’elles sont vulnérabilisée parce qu’elles sont des femmes. Elles sont bien plus touchées que les hommes en situation d’itinérance par le harcèlement, les violences domestiques et sexuelles. » Le soutien communautaire répond aux besoins spécifique de ces femmes en termes de sécurité, de reconstruction des liens de confiance, et de socialisation, surtout pour les femmes âgées qui souffrent souvent d’isolement.

« Créer des espaces de rencontre non mixtes, entre femmes, leur permet de se retrouver entre elles pour parler, ventiler sur leur quotidien, leurs expériences » continue Mme Labelle. À la FOHM, des rencontres collectives sont organisées par et pour un comité rassemblant des femmes locataires de différents OSBL d’habitation à Montréal : soupers communautaires, réunions hebdomadaires, activités diverses…

« La violence (familiale, domestique, sexuelle) de même que la pauvreté sont des facteurs déterminants dans le parcours des femmes ayant vécu de l’itinérance, avait déclaré Anne Bonnefont du RAPSIM, lors de la conférence sur « L’itinérance au féminin » du dernier colloque du RQOH. Souvent, elles sont très seules, très isolées. Elles trouvent dans le logement social avec soutien communautaire un milieu de vie, une communauté, un accompagnement. Mais aussi, un milieu sécuritaire et sécurisant. »

Un autre enjeu entourant le phénomène des portes tournantes est la complexification des difficultés vécues par les femmes en situation d’itinérance, complexification qui n’est pas accompagnée d’un financement adéquat d’après les centres d’hébergement pour femmes. « Les types de violence dans lesquels les femmes se trouvent se complexifient et dépassent les cas de violence conjugale ou familiale, souligne la présidente de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes et directrice de la maison l’Inter-Val à Montréal, Sylvie Bourque. Il y a les cas de traite, de violence faite aux aînées, de violence basée sur l’honneur, de même que l’augmentation du nombre de femmes qui s’adressent aux maisons d’hébergement et qui subissent des troubles de santé mentale. » Aussi, le nombre de femmes immigrantes qui ont recours aux services des maisons d’hébergement a bondi, et ce, même en régions d’après une étude de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), parue en juin 2017. Cela entraîne invariablement une pression supplémentaire sur des ressources déjà insuffisantes, comme les services de traduction par exemple, qui sont coûteux et parfois difficilement accessibles.

En soulignant que le financement ne devrait pas dépendre seulement du nombre de places, mais plutôt du nombre d’heures nécessaires pour des suivis adéquats, l’étude confirme que les maisons d’hébergement ne sont pas financées à la hauteur des besoins. « Ce financement insuffisant, combiné à la complexification des cas, a comme conséquences l’essoufflement des intervenantes dans les maisons, dont les tâches sont alourdies, et l’augmentation des durées de séjour des femmes hébergées » avance Mme Bourque.

« Il n’y a pas de solution miracle pour faire disparaitre le phénomène des portes tournantes auquel se heurtent les femmes en situation d’itinérance, précise l’organisatrice communautaire Élise Solomon, du RAPSIM. Mais les constats sont là : le sous-financement et le manque de places dans les ressources, notamment non mixtes, est flagrant, mais la rareté de logements sociaux avec soutien communautaire l’est encore plus. Pourtant, l’expertise, les approches et les ressources sont là, bien en place ! Il y a des développeuses : il ne manque plus que la volonté politique. »

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