Page couverture du projet de loi 31

Tout au long des dernières semaines, chroniqueurs et éditorialistes ont commenté le projet de loi 31 déposé le 9 juin dernier par la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, en particulier la disposition qui ferait disparaître, en pratique, la possibilité qu’ont les locataires depuis une quarantaine d’années de céder leur bail.  

Extraits de certains commentaires

  • Stéphanie Grammond, éditorialiste au quotidien La Presse : « Si on avait besoin d’une preuve de plus du manque d’empressement de la CAQ à régler la crise du logement, la voilà. La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a attendu la toute dernière journée de la session parlementaire pour déposer son projet de loi 31 sur l’habitation, qui est arrivé à l’Assemblée nationale vendredi dernier… entre les bons vœux des députés pour la saison estivale et le dépôt d’un projet pour reconnaître l’amiral blanc comme insecte emblé­matique du Québec. Sans rien enlever aux insectes, ça donne une idée de l’ordre des priorités de la CAQ. » 
  • Josée Legault, chroniqueure au Journal de Québec et au Journal de Montréal : « En pleine crise du logement, la CAQ choisit le pire moment possible pour avantager ouvertement les locateurs. C’est à y perdre son latin et à s’en décrocher la mâchoire du même coup. Avec une pénurie grave de logements et des loyers dont les prix grimpent de manière vertigineuse, ceux qui parmi les proprios cherchent surtout à maximiser leurs profits ont pourtant déjà le très gros bout du bâton. […] [Cette] mesure du projet de loi 31 fait passer le droit au logement bien après le droit à la propriété, dont sa marchandisation accélérée, sur le plan social, est fort inquiétante. » 
  • Paul Journet, chroniqueur au quotidien La Presse: « Depuis leur élection, les caquistes sous-estiment le sentiment d’impuissance, et parfois de détresse, de ceux qui peinent à trouver un appartement à un prix raisonnable. La tendance se poursuit avec le projet de loi 31 déposé vendredi, quelques minutes avant la fin de la session. […] Des gens ne connaissent pas l’ancien prix du loyer, d’autres s’en rendent compte trop tard pour le contester ou n’osent pas le faire par crainte de perdre leur chez-soi. Et ceux qui tentent l’aventure affrontent de longs délais. Voilà la toile de fond qui explique pourquoi la cession de bail est vue comme un mécanisme de dernier recours pour se prémunir contre un marché déséquilibré. Mme Duranceau veut guérir le mal à la source, mais en attendant que cela se produise, elle arrache un des rares pansements qui réduisaient la douleur. » 
  • Aurélie Lanctôt, chroniqueuse au quotidien Le Devoir: « La cession de bail est avant tout un outil de survie. Or, si elle dérange autant, c’est qu’elle est utilisée pour mettre en œuvre un principe de solidarité. Elle est à la fois un sauf-conduit et un coupe-feu : lorsqu’on cède son bail, on endigue pour tous la spirale de la hausse des loyers. Elle sert aussi de rempart contre la discrimination, dans un marché locatif où quiconque s’éloignant de la norme voit ses chances d’être “choisi” par un propriétaire radicalement réduites. L’attaque contre la cession de bail révèle l’intention véritable de cette loi : il ne s’agit pas de protéger les locataires, mais bien de lever encore plus les entraves à la marchandisation du logement. » 
  • Philippe Léger, chroniqueur au Journal de Québec et au Journal de Montréal : « [Le] problème, ce n’est pas le projet de loi précisément. C’est la posture de la ministre qui pose problème : celle de l’équilibriste entre les locataires et les propriétaires. Elle en donne, donc, aux locataires pour les évictions et un peu aux propriétaires pour limiter le “magasinage” de baux. Or, la ministre-équilibriste fait face à un marché qui, lui, est en déséquilibre. Un exemple parmi d’autres ? À Gatineau, selon la mairesse, c’est maintenant plus de 1700 $ par mois pour un logement “une chambre” et 2000 $ pour un “deux chambres”. La suite, on la connaît : coupure dans d’autres dépenses, appauvrissement des gens déjà à faible revenu, banques alimen­taires, itinérance… En ne visant que des détails, elle ne fait que reconduire ce déséquilibre. » 
  • Marie-Eve Doyon, chroniqueuse au Journal de Québec et au Journal de Montréal : « En déposant son projet de loi 31 sur l’habitation, le gouvernement démontre qu’il est complè­tement déconnecté de la situation des locataires ces jours-ci. […] La colère ne serait pas si vive si le marché des logements locatifs n’était pas si déréglé depuis quelques années. Rénovictions, hausses de loyer abusives, spéculation, discrimination à peine voilée, toutes les circonstances convergent pour que les locataires soient de moins en moins protégés face aux propriétaires. […] Personne n’est contre le capitalisme, sauf que celui-ci est de plus en plus sauvage. La ministre valorise cette situation quand elle affirme que “ce n’est pas aux locataires de décider des prix des loyers”. » 

Mentionnons également ces deux lettres ouvertes publiées par Le Devoir: 

  • Guillaume Lessard, professeur invité à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal : « Plus fondamentalement, ce qui choque dans la défense que Duranceau fait de son projet, c’est que, d’une part, elle admet qu’on se trouve en situation de crise du logement et que, d’autre part, elle parle du logement comme d’un actif à valoriser : “Ça n’a pas de bon sens. T’es propriétaire, tu prends des risques, t’investis ton argent dans un actif et tu n’en as même pas le contrôle”, disait-elle récemment. Dans cette affirmation, la ministre, qui, rappelons-le, est une ex-courtière immobilière, dévoile ici clairement ses véritables intentions. Pour elle, le logement est d’abord et avant tout un investissement financier à valoriser. Le problème dans cette définition, c’est qu’elle fait abstraction du fait que le logement est une nécessité humaine. En traitant l’habitation comme un bien financier, elle déshumanise la question. Après tout, il est beaucoup plus aisé de parler de rentabilisation des actifs que d’assumer le fait qu’on retire sa maison à une famille. » 
  • Alexis Lamy-Théberge, finissant en droit à l’Université de Montréal : « La propriété immobilière n’est pas une propriété comme une autre : le droit québécois reconnaît qu’elle s’accompagne de droits relatifs à celui qui tire profit de son usage, puisque le logement est un besoin essentiel qui ne peut être uniquement assujetti aux forces obscures du marché, créatrices d’inéga­lités. […] L’achat immobilier crée du gain en capital, accompagné de responsabilités, certes, mais dans un contexte où le risque est minime, plus lié à des situations anecdotiques de mauvais loca­taires qu’à l’incertitude d’une plus-value. Les œillères de la ministre-agente immobilière ne lui permettent pas d’intégrer la gestion immobilière dans le cadre global des inégalités sociales. » 

Enquête sur les activités immobilières de la ministre 

Pour couronner le tout, le média Web Pivot a publié les résultats d’une enquête sur les activités immobilières de la ministre et ses liens avec une lobbyiste qui représente les intérêts de résidences privées pour aînés, enquête qui a également fait l’objet d’un reportage à la une du quotidien La Presse. On y apprend notamment qu’elle a mené au moins un « flip immobilier » avant son élection – une conversion d’un duplex locatif en copropriété dans le quartier La-Petite-Patrie à Montréal – ce qui a amené la mairesse de Montréal à rappeler que ces transformations immobilières, bien que légales, « contribuent directement à la montée des prix et ça nuit également à la mixité dans les quartiers ». 

À travers ces prises de position, Mme Duranceau a par ailleurs dévoilé qu’elle préparait déjà des amendements au projet de loi 31 en prévision des débats qui auront lieu à la rentrée parlementaire, qui toucheront notamment la Loi sur la fiscalité municipale. La ministre compte répondre positivement à la demande de l’UTILE (l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant) pour que les ensembles de logements destinés à des cégépiens jouissent des mêmes exemptions de taxes que les résidences universitaires. Aussi, elle a réitéré en entrevue au Devoir qu’en raison de la hausse des coûts de construction, elle compte favoriser l’achat d’immeubles existants par des organismes sans but lucratif, plutôt que de financer la construction de nouveaux logements sociaux et communautaires. L’un ne devrait toutefois pas aller sans l’autre… 

À quelques jours du 1er juillet, on peut prédire sans craindre de se tromper que le logement restera à la une de l’actualité dans les prochains jours !